Consommation
Des produits frais, victimes collatérales du Covid-19
Pendant que les ventes de pâtes s’envolent, celle des fruits et légumes de saison, mais aussi de produits laitiers de qualité sont à la peine, alors que les filières ovines et caprines anticipent une catastrophe pour Pâques.
Pendant que les ventes de pâtes s’envolent, celle des fruits et légumes de saison, mais aussi de produits laitiers de qualité sont à la peine, alors que les filières ovines et caprines anticipent une catastrophe pour Pâques.
Face à l’ordre de confinement et à la fermeture des écoles, les Français ont chargé leurs placards de paquets de pâtes, riz, conserves de légumes et de poissons… mais quid des produits frais ? Les chiffres de Kantar ne sont pas encore disponibles, mais de premières tendances émergent. « Nous avons des chiffres qui parlent d’une hausse de consommation de fruits et légumes de 18 % du 9 au 15 mars, contre plus du double pour l’ensemble de la consommation alimentaire », confie Olivier Ayçaguer, responsable du service économie et compétitivité filière de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel).
Dans le commerce en ligne, les ventes de fruits et légumes ont augmenté de près de 40 %, mais ce canal ne pèse que 3 % des ventes des fruits et légumes, poursuit-il. Les fruits et légumes consommés de préférence : pomme, carotte, pomme de terre…
L’achat plaisir est relayé au second plan
« Les produits de saison ont été délaissés comme la fraise et l’asperge qui représentent plus des achats plaisir », explique Olivier Ayçaguer. L’origine France de ces deux produits en avance de trois semaines sur le calendrier habituel s’est par ailleurs télescopée avec les autres origines. Mais après des réunions avec la grande distribution, la filière française est en ordre de marché.
50 % de commandes en moins pour les fromages de qualité
Du côté des fromages de qualité, l’ambiance est encore plus morose. « On a 50 % de commandes en moins cette semaine », confiait le 26 mars Michel Lacoste, président du Cnaol, qui regroupe l’ensemble des ODG des AOC laitières françaises. Et de préciser avoir été en contact avec une entreprise qui n’avait pas vendu un kilogramme en une semaine. « Ça a commencé dès le 17 mars, dès la deuxième intervention d’Emmanuel Macron. Les gens se ruent sur les produits de première nécessité, or, nous sommes un produit plaisir. L’achat plaisir est relayé au second plan », analyse Michel Lacoste.
Les produits laitiers de qualité sont aussi pénalisés par la fermeture des rayons coupe en GMS qui représentent 38 % de leurs débouchés. « À cela s’ajoutent les marchés qui représentent 12 % de nos débouchés », poursuit Michel Lacoste. Via le Cniel, le Cnaol discute avec la grande distribution pour mettre au rayon libre-service du fromage préemballé en fromagerie ou par les distributeurs et en introduire davantage dans les drives. Il y a urgence : « les stocks progressent à vue d’œil et du coup que fait-on du lait ? Ce qui caractérise nos filières c’est que ce sont beaucoup de PME, TPE qui sont économiquement menacées », alerte le président du Cnaol qui représente quarante-cinq fromages, trois beurres et deux crèmes.
Les rayons de jambon cuit sont vides
Du côté des viandes, pour le porc « c’est variable d’un jour à l’autre, ça peut passer de +30 % à -10 %. Cela part un peu dans tous les sens, mais on a globalement un maintien de l’activité viande, voire un développement », commente Didier Delzescaux, directeur d’Inaporc. En charcuterie, les « rayons de jambons cuits sont vides, les autres produits sont moins vendus », poursuit-il. Là aussi, les produits de charcuterie sous signes de qualité sont pénalisés par la fermeture des rayons traditionnels.
À quelques jours de Pâques, qui va se dérouler sans fêtes familiales cette année, confinement oblige, les filières ovines et caprines s’alarment. « Les groupements annoncent que 20 000 agneaux ne sont pas abattus à cette période, soit un tiers de moins qu’une année normale », alerte le Modef dans un communiqué.
Anticipant, une baisse de pouvoir d’achat pour nombre de consommateurs touchés par le chômage partiel, Michel-Édouard Leclerc a annoncé le 30 mars l’émission, financée par les magasins, de bons d’achat de 20 % (ticket « solidarité filières ») par catégorie de produits frais français (fraises, carottes, asperges, agneaux et poissons)… d’autres enseignes pourraient suivre. Pas sûr que cela suffise pour relever certaines filières.
Fermeture des marchés : le coup de grâce pour les grossistes de Rungis
Après la fermeture des restaurants le 15 mars, la décision du gouvernement d’interdire la tenue des marchés alimentaires (hors dérogation des préfets après demande des maires) en début de semaine dernière a porté un nouveau coup dur aux grossistes de Rungis. Les « commerçants de plein air » représentent un peu plus de 20 % de la clientèle totale du marché et près de 30 % des 1,3 million passages annuels au péage de la plateforme francilienne. Un débouché essentiel notamment pour les grossistes du carreau.
Les conséquences ont été immédiates sur l’activité des pavillons des fruits et légumes, des produits laitiers, de la viande, mais aussi de la marée. « C’est le secteur le plus touché », indiquait lundi 30 le président du marché de Rungis, Stéphane Layani, sur Europe 1. « La moitié du poisson est achetée par les restaurants et collectivités, et l’autre, par les poissonniers de détail et de marché. Il faut entretenir cette filière, car sinon elle va s’étouffer », a-t-il plaidé, saluant « les cinq opérateurs » ayant décidé de rester ouverts en dépit de l’effondrement de l’activité. La Semmaris est d’ores et déjà en discussion sur des suspensions de loyer ou des remises pour aider les commerçants à franchir le cap.
La situation a enclin les fédérations des grossistes à lancer le 27 mars un appel au secours par une lettre ouverte adressée aux ministres de l’Intérieur, de l’Économie et des Finances et de l’Agriculture. Cosigné par l’Union des grossistes de Rungis, Unigros, les fédérations sectorielles, mais aussi les interprofessions (Anvol, Interbev, Interfel) et les syndicats de détaillants, le courrier pointe les répercussions économiques potentiellement « catastrophiques » sur l’ensemble de cette chaîne de production et de distribution.