Le bien-être animal, un argument à double tranchant
Sous l'impulsion des ONG, de distributeurs étrangers, de futurs règlements européens voire des éleveurs eux-mêmes, les filières animales s'attachent de plus en plus au bien-être animal. Certains opérateurs font le choix de communiquer leurs efforts au grand public, d'autres hésitent par crainte d'une surenchère de la part des ONG. Notre enquête à l'occasion du 28e Space à Rennes.
Le CIWF (Compassion in world farming) en partenariat avec RSPCA, la Soil Association et WSPA (SPA mondiale) a lancé une campagne de communication européenne en décembre dernier, « Question d'étiquette », appelant à la mise en place d'un étiquetage obligatoire du mode d'élevage pour toutes les viandes et produits laitiers. Celui-ci distinguerait, à l'instar de celui des œufs, le caractère bio, en plein air, en bâtiment extensif ou en bâtiment intensif de l'élevage, en « termes simples et clairs, facilement compréhensibles ». L'organisation britannique s'inspire d'une étude menée en 2013 auprès de 3 000 consommateurs de France, du Royaume-Uni, d'Allemagne et de République tchèque par le cabinet indépendant de sondages Qa Research. Il en ressort, s'agissant de la France, que 9 consommateurs sur 10 souhaitent étendre l'étiquetage des œufs à d'autres produits animaux (taux comparable à celui des autres pays). Pour 8 Français sur ” 10, montre ce sondage, le bienêtre animal « est important lorsqu'ils choisissent leurs produits carnés et laitiers ». Or, « de nombreux consommateurs », selon Qa sont induits en erreur par les emballages. Un test sur des produits de GMS a montré la plus grande confusion, même parmi les personnes interrogées qui prétendaient facilement identifier les « systèmes de production favorisant le bien-être animal ». Au contraire, retient le CIWF, le marquage des œufs est clair, 7 Français sur 10 le comprennent. Le cabinet Qa a testé un tel système sur de la volaille, déduisant qu'il conduirait aux mêmes « choix éclairés ». Et de fournir un argument aux filières en établissant que de nombreux consommateurs « voient les standards de bienêtre animal comme un baromètre pour d'autres questions importantes, comme la qualité de la nourriture, les bienfaits pour la santé et l'aspect nutritionnel ». Leopoldine Charbonneaux, directrice du CIWF en France, attend d'un étiquetage obligatoire qu'il touche d'autres populations que les « citadines aisées ».
“ De nombreux consommateurs seraient induits en erreur
Le mode d'élevage n'est pas forcément garant du bien-être des animaux ; telle est la position de la Commission européenne, qui veut faire évoluer sa législation vers des obligations de résultats. Pour autant, la réduction des densités d'élevage, voire l'extensification, parle aux consommateurs.
Avantage significatif pour les appels d'offresD'où cette question : un mode d'élevage plaisant fait-il vendre ? Les éleveurs de volailles label Rouge d'Ancenis et AB Bodin sont au centre de cette question. Ils ont recherché (avec le CIWF) et mis en place les aménagements permettant aux volailles de se percher, de picorer et de gratter le sol ; des comportements naturels qui se révèlent bénéfiques à leur>> santé et à leurs qualités gustatives, et qui sont expliqués sur l'internet. La réputation des marques en grandes surfaces s'en trouve confortée. Selon Thierry Villelegier, directeur commercial BtoB de Gastronome, « l'avantage est significatif dans les appels d'offres des marchés publics ». Les responsables se gardent toutefois de se prononcer quant à un étiquetage obligatoire. En effet, celui des œufs a davantage profité au « plein air » qu'au label Rouge.
Autout pour l'Europe du NordDans les filières de ruminants, l'élevage à l'herbe, sur des élevages de taille moyenne domine, affirme Marc Pagès, délégué général d'Interbev. Si c'est un atout pour l'exportation vers l'Europe du Nord, il ne voit pas l'intérêt d'un étiquetage obligatoire pour le marché intérieur. Dans les boucheries revendiquant le soutien des filières locales, comme les Boucheries du bœuf tricolore, l'on évoque peu la condition animale. « C'est marginal et ponctuel. Ça intéresse une petite minorité de clients », témoigne M. Pineau, patron de l'enseigne. 8 sur 10 en parlent après une émission de télé un peu choquante, mais ça se calme très vite, selon lui. Clairement, le sujet est « ce qu'on va manger est-il sain ou non, pour quel prix, c'est le rapport qualité/prix », tranche-t-il. Le sentiment est le même dans le magasin de producteurs, pourtant d'esprit biologique Brin de campagne, à Chaumont (Haute-Marne) où les clients se montrent davantage intéressés par la qualité des viandes, leur traçabilité, la proximité des éleveurs, que par le mode d'élevage qu'ils supposent bon.