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Une brèche dans le système canadien de gestion de l’offre

Accord de libre-échange avec l’Union européenne, traité transpacifique, importation de lait diafiltré des États-Unis. Le système canadien de gestion de l’offre du lait est mis à l’épreuve.

© R. Lemoine

L’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta) est à nouveau sur le devant de la scène. Scellé depuis le 26 septembre 2014, il doit être ratifié avant la fin de l’année. Côté canadien, c’est déjà fait. Les personnalités rencontrées lors d’un voyage d’études organisé par l’Association française des journalistes agricoles (Afja), en juin dernier, ont expliqué aux journalistes présents l’importance de cet accord pour le développement économique du Canada.

Côté européen, c’est un peu plus compliqué. La Commission européenne, qui a évalué à 12 milliards d’euros par an l’impact positif potentiel du Ceta pour l’économie européenne, veut aller vite. En juillet dernier, Cecilia Malmström, commissaire européenne au Commerce, devait faire soumettre une proposition de ratification de l’accord au Conseil et au Parlement européens (les 28 ministres) sans passer par les parlements nationaux. Elle a dû renoncer face aux pressions politiques, notamment de la France et de l’Allemagne. Les gouvernements des États membres sont amenés à faire face aux voix qui accusent l’Europe d’un manque de transparence dans les procédures, sur fond du référendum britannique qui a souligné la méfiance des citoyens européens vis-à-vis des instances communautaires.

 

DANS L’ATTENTE DE LA SIGNATURE DES PARLEMENTS NATIONAUX DE L’UE

Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a finalement cédé, « même si d’un point de vue strictement juridique, cet accord relève de la compétence exclusive de l’UE », a précisé Cecilia Malmström au journal Les Échos.

Bruxelles souhaite toutefois que l’accord ne soit pas entravé et compte saisir les élus européens dès la session d’automne pour une entrée en vigueur provisoire début 2017 ; le premier ministre canadien, Justin Trudeau, étant attendu mi-octobre pour la signature officielle du Ceta avec Jean-Claude Juncker.

« Le Canada soutient le libreéchange et la libéralisation des marchés », a exprimé devant l’Afja le Québécois Jean-Claude Poisant, secrétaire parlementaire du ministre de l’Agriculture et de l’alimentation canadien. « La coopération réglementaire est très importante pour nous, a souligné Fréderic Seppey, négociateur en chef pour l’agriculture. Nous nous donnons sept ans pour libéraliser nos relations commerciales avec le monde. » Derrière ce discours d’ouverture, les représentants du secteur laitier rencontrés sont plus réservés. D’aucuns pressentent le début d’une fissure du système de gestion de l’offre, qui subsiste au Canada, et que les producteurs de lait défendent becs et ongles.

UN MANQUE À GAGNER

En effet, le Ceta va offrir à l’UE, en plus du quota existant de 13 472 tonnes de fromages négociés dans le cadre de l’OMC, un contingent supplémentaire de 18 500 tonnes qui entreraient au Canada sans droit de douanes, dont 16 800 tonnes de fromages de qualité (dont 800 tonnes sous forme de réallocation du contingent précité négocié dans le cadre de l’OMC) et 1 700 tonnes de fromage industriel.

« La production laitière et l’automobile sont les deux grands perdants », a affirmé François Bertrand, de la Fédération des producteurs de lait du Québec. « C’est du lait que nos producteurs ne produiront pas. Nous travaillons pour valoriser leur travail. Nous avons proposé un logo des producteurs de lait canadiens qui a été refusé par les industriels », regrette-t-il.

Le gouvernement canadien a évoqué une compensation pour les éleveurs. Annoncée mais toujours attendue pour le TTP (le traité de libre-échange transpacifique), les producteurs espèrent son aboutissement et son extension au Ceta.

L’ambassadeur de France au Canada, Nicolas Chapuis, qui a pris ses fonctions le 4 février 2015, se pose la question de la viabilité du système de gestion de l’offre sur le long terme et des moyens de le moderniser ? « Le parlement fédéral canadien est constitué de 171 députés dont une quarantaine, soit 25 % des représentants, sont québécois, grands défenseurs des producteurs de lait », signale-t-il.

 

LE POIDS DU QUÉBEC EN ÉVOLUTION ?

« Nous sommes fiers de notre système de gestion de l’offre et nous sommes déterminés à le protéger en contrôlant la production, les importations et les prix. Notre but est d’améliorer la situation des éleveurs tout en modernisant l’industrie laitière canadienne. Le plan stratégique pour l’agriculture se termine en 2017. Nous sommes en négociation pour l’élaboration du plan qui prendra la relève pour une période de sept ans (assurances récolte, assurance revenu…). », a répondu Jean- Claude Poisant.

Un discours politique à modérer si on en croit des économistes canadiens qui parlent d’une diminution du rapport de force du Québec, province qui concentre 40 % du lait mais 50 % des éleveurs du fait de plus petites fermes qu’ailleurs au Canada.

En effet, un avant-goût de l’impact du Ceta et du TTP se ressent avec les importations sans droit de douane de lait diafiltré (lait concentré en protéines) en provenance des États-Unis, sous l’oeil consentant de l’Agence des services frontaliers du Canada. Il est importé par Saputo, premier laitier privé et Parmalat (groupe Lactalis) mais aussi par la première coopérative du pays, Agropur, pour fabriquer du fromage industriel et des yaourts grecs riches en protéines. Un coup d’oeil à la différence de prix du lait payé aux producteurs des deux côtés de la frontière éclaire cette pratique : 0,75 euro par litre au Canada contre moins de 0,30 euro par litre aux États-Unis. « Le lait diafiltré n’est pas assujetti à un contingent tarifaire dans l’Alena (accord de libreéchange nord-américain signé en 1994) et jouit d’un droit en franchise. Il ne nous est pas possible de revenir en arrière. En revanche, il serait possible de réglementer son utilisation au Canada », explique Frédéric Seppey.

Le lait diafiltré passe la frontière en tant qu’ingrédient, mais au Canada il est considéré comme du lait par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Le 2 juin dernier, 2 500 agriculteurs ont manifesté à Ottawa, dénonçant les importations de lait diafiltré et les brèches dans le système de gestion de l’offre.

FAIRE DE LA CONCURRENCE AU LAIT DIAFILTRÉ

« C’est un manque à gagner de 200 millions de dollars canadiens pour les éleveurs laitiers canadiens en 2014, et de 220 millions en 2015, précise François Bertrand. Nous produisons pour le marché intérieur et nous contrôlons notre production. Pour que cela fonctionne, il faut empêcher l’entrée de produits concurrents. » Les producteurs ont négocié un accord avec le gouvernement pour créer une nouvelle classe de lait moins chère que le lait diafiltré importé. Une solution en place jusqu’à fin juillet. Ensuite ? On peut lire sur le site des Producteurs laitiers du Canada que ces derniers ont signé le 13 juillet avec les transformateurs un accord de principe national, qui comprend la création d’une stratégie des ingrédients. Il devrait être mis en oeuvre dès le 1er septembre 2016.

Ces failles dans le système de gestion de l’offre n’ébranlent toutefois pas la confiance de Christian Lacasse, producteur installé entre Montréal et Québec, qui gère avec sa femme une ferme de 75 vaches laitières entravées. S’il regrette les évolutions actuelles – il a manifesté à Ottawa –, il reste confiant et prépare l’avenir. Il voudrait céder l’exploitation à ses deux fils dans les prochaines années et projette de racheter du quota. Le kilo de quota de matière grasse est à environ 25 000 dollars, auxquels il faut ajouter des terres dont le prix s’élève à près de 6 700 euros l’hectare.

CHIFFRES CLÉS

• Production : 7,8 milliards de litres

• Nombre de fermes : 11 683

• Nombre de vaches laitières : 932 000

• Industrie laitière : 10,5 milliards de dollars canadien, 21 % de l’économie agroalimentaire canadienne. Concentrée sur les provinces du Québec et de l’Ontario

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