Œufs : « Il manque 3 millions de poules », comment la filière s’adapte à la tension
La transition vers l’œuf alternatif est bien amorcée par l’amont de la filière œuf. Mais il faut plus de poules en code 2 ou 1 qu’en code 3 pour produire la même quantité d’œufs. Alors qu’en face la demande est en croissance, les opérateurs de l’amont communiquent sur leurs efforts. Et chez les acheteurs d’œufs, tous ne sont pas logés à la même enseigne, selon les relations qu’ils ont établies avec leurs fournisseurs.
La transition vers l’œuf alternatif est bien amorcée par l’amont de la filière œuf. Mais il faut plus de poules en code 2 ou 1 qu’en code 3 pour produire la même quantité d’œufs. Alors qu’en face la demande est en croissance, les opérateurs de l’amont communiquent sur leurs efforts. Et chez les acheteurs d’œufs, tous ne sont pas logés à la même enseigne, selon les relations qu’ils ont établies avec leurs fournisseurs.

Les rayons œufs clairsemés dans la grande distribution n’ont pas échappé au grand public. Les tensions sur les approvisionnements en ovoproduits, de leur côté, causent quelques sueurs froides aux industriels de l’agroalimentaire, petits ou grands, depuis 2022.
Sur le site Les Marchés, tous les articles parlant de l’évolution du marché et des prix des œufs, de l’actualité réglementaire, des tendances de consommation et de la filière sont disponibles à cette adresse : https://www.reussir.fr/lesmarches/oeufs
Grippe aviaire et transition ont freiné la production d’œufs
La violente crise de grippe aviaire en 2022 reste dans les mémoires comme le moment où le marché a déraillé. Production à l’arrêt dans les Pays-de-la-Loire, durement touchés, manques pour tous les débouchés. Mais pourquoi, trois ans plus tard, le marché n’a-t-il pas repris son rythme ? « La grippe aviaire a freiné notre transition vers l’alternatif » explique Yves-Marie Beaudet, éleveur et président du CNPO.
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Car l’amont doit aujourd’hui faire face à la décision de la grande distribution de ne plus commercialiser d’œufs de cage, et les travaux vont bon train. « Mais pour chaque poulailler cage converti en code 2, c’est environ 20 % de la production de perdus », explique le président, entre baisse du nombre de poules dans le bâtiment et recul de la productivité. Dans le même temps, la demande, elle ne s’est pas calmée, puisqu’en 2024 les achats des ménages ont progressé de 4,7 % en volume (près de 300 millions d’œufs supplémentaires) et que sur les sept premiers mois de 2025 la hausse atteint 3,9 % selon les données Wordpanel.
« Mais pour chaque poulailler cage converti en code 2, c’est environ 20 % de la production de perdus »
« C’est bien simple, nous commercialiserons encore des œufs de code 3 en 2026, peut-être même en 2027, même si nous n’en produisons plus » assure Stéphanie Ripoche, à la tête de l’Œuf des Deux Moulins, élevage et centre de conditionnement (ODNV).
300 nouveaux bâtiments dans le plan de la filière œufs
Annoncé en juin 2024, le plan de la filière œuf comporte la construction de 300 nouveaux bâtiments. « C’est très long, il y a des freins, avant tout la frilosité des banques », explique Charles Gadais, responsable de l’activité pondeuse de Noréa (Terrena). Les éleveurs qui s’installent actuellement le font donc avec un contrat longue durée, de dix à douze ans, à même de rassurer les financiers ; le temps d’amortir le bâtiment dont la construction coûte, aujourd’hui, de l’ordre de 1,5 million d’euros.
Pour convertir un bâtiment code 3 vers l’alternatif, l’investissement est de l’ordre de 25 à 30 €/ poule selon les données du CNPO. « On s’engage sur du long terme pour protéger nos éleveurs, avec des contrats certes basés sur l’aliment mais calculés pour dégager un salaire convenable pour l’éleveur » abonde un autre opérateur, qui s’inquiète tout de même « mais on espère qu’il n’y aura pas de revirement de marché. Nous sommes une coopérative, nous ne lâcherons jamais nos éleveurs, mais si les prix chutent nous serons dans un étau ».
« On s’engage sur du long terme pour protéger nos éleveurs »
Des lenteurs administratives pour les nouveaux élevages
Parmi les autres freins au déploiement de nouveaux élevages, les opérateurs citent, unanimes, la lourdeur administrative. Tous sont rassurés par le relèvement des seuils passé dans la loi Duplomb (de 40 000 à 60 000 volailles pour une enquête publique). Néanmoins la loi ne prend pas encore effet et la situation politique française peu lisible n’est pas rassurante. Quant à l’opposition des riverains, la situation est contrastée. « Ici, dans les Pays de la Loire, il y a déjà beaucoup d’élevages, le voisinage les connait et identifie bien que les nuisances sont relativement faibles, ce n’est pas si compliqué » rassure Charles Gadais. À l’inverse, « quand on est dans un département céréalier, avec des populations qui n’ont pas l’habitude, on a toujours beaucoup plus de freins » regrette Yves-Marie Beaudet.
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Pour trouver des éleveurs, même hétérogénéité. « Des nourrices, des esthéticiennes, un éleveur laitier qui se réoriente, nous avons de nombreux profils intéressés » se réjouit Charles Gadais, qui met en avant la régularité du travail, et les 4 à 7 h par jour qui permettent de dégager « un revenu garanti ». Les échos ne sont pas les mêmes en Bretagne, où de nombreux opérateurs installés ont besoin d’œufs. « Un futur éleveur avait déjà reçu 9 propositions de contrats de structures concurrentes » soupire un acteur breton. Néanmoins, les projets progressent, les échos des équipementiers au SPACE étant assez positifs.
Une offre d’œufs qui ne suffit pas aujourd’hui
Pour autant, pour l’heure, le marché français de l’œuf reste sous tension. « Notre centre de conditionnement tourne en flux tendu, heureusement que nous travaillons avec d’autres adhérents ODNV pour lisser les manques » soupire Stéphanie Ripoche, qui estime à 5 % envrion son taux de rupture. « On ne peut pas parler non plus de pénurie ! Certes, certains rayons sont clairsemés en fin d’après-midi, mais ils sont regarnis dès le lendemain matin » clarifie Alice Richard, directrice du CNPO.
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Une donne que les GMS ont du mal à encaisser. Les négociations commerciales, toujours période de tension, l’ont été particulièrement l’an dernier, avec un rapport de force qui a évolué, par suite du manque d’œuf. Les relations se sont aussi dégradées au cours des négociations sur le financement de l’ovosexage. FCA et FDC, les deux représentants de la grande distribution au CNPO ont claqué la porte de l’interprofession par surprise début juillet. Une défection qui a permis à l’interprofession de s’exprimer sur la présence d’œufs ukrainiens en magasins, notamment dans un Leclerc en fin d’été. « La porte est grande ouverte et nous espérons pouvoir les rencontrer dans les prochaines semaines » concilie néanmoins Alice Richard. « Nous travaillons néanmoins main dans la main avec les acheteurs de la GMS spécialisés sur le local, comme U Local et Engagé, qui nous comprennent mieux » précise Stéphanie Ripoche.
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Assurer ses approvisionnements
Les acheteurs d’œufs et d’ovoproduits sont nombreux en France, et tous n’ont pas la même stratégie. Freddie Allaire, directeur général de Brioche Pasquier explique : « Nous sommes des acheteurs très fidèles. Nous avons des contrats de confiance historiques avec des éleveurs, du Egalim 30 ans avant l’heure ».
« Nous avons des contrats de confiance historiques avec des éleveurs, du Egalim 30 ans avant l’heure »
L’entreprise, grande utilisatrice d’ovoproduits, 10 tonnes par jour sur le seul site des Cerqueux, n’a pas manqué d’œufs « nos fournisseurs nous ont toujours approvisionnés même au cœur de la pénurie liée à la grippe aviaire, en cas de coup dur il faut qu’on s’entraide », insiste Freddie Allaire. L’industriel n’appose plus, pour le moment, le logo œuf de France sur ses brioches, car, entièrement sorti de la cage, il a besoin de compléter ses approvisionnements en origine UE.
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Alors qu’aujourd’hui « il manque 3 millions de poules en France » selon Yves-Marie Beaudet, les utilisateurs ont plus que jamais besoin de relations harmonieuses et transparentes avec leurs fournisseurs.