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Éviter les goûts de fumée dans les vins

Lavage des raisins, enzymage, osmose inverse, ajout d’écorces de levures… Plusieurs solutions existent pour s’affranchir des goûts de fumée dans les vins. Tour d’horizon des différentes techniques.

L'utilisation d'enzymes glycosidases et le collage au charbon ou à la protéine de pois est la technique la plus répandue pour éliminer les goûts de fumée.
L'utilisation d'enzymes glycosidases et le collage au charbon ou à la protéine de pois est la technique la plus répandue pour éliminer les goûts de fumée.
© J.-C. Gutner

Près de 1 000 hectares de vigne ont côtoyé les flammes lors des incendies qui ont ravagé le Var, le Vaucluse et l’Aude pendant l’été. Si la situation est inédite en France, elle est malheureusement loin de l’être à l’échelle mondiale. L’Australie, la Californie ou encore le Chili ont acquis une petite expérience dans la maîtrise des goûts de fumée, ces déviations organoleptiques qui donnent aux vins un goût de cendre, de brûlé et qui masquent le fruité. Retour sur ce qui fonctionne.

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Repérer les lots contaminés par la dégustation des baies

Les goûts de fumée sont dus à la présence dans les vins de phénols volatils qui se forment lors de la brûlure de la lignine du bois. Cinq principales molécules ont été identifiées : gaïacol, 4-méthyl-gaïacol, crésol, m-crésol et p-crésol (3,4). Transportés par la fumée, ces composés se déposent sur la pruine et traversent la pellicule du raisin. Le risque de contamination est toutefois difficilement prévisible, car il dépend de multiples paramètres, dont le stade de maturité, l’épaisseur de la pellicule, la concentration en phénols volatils dans la fumée, ou encore la durée d’exposition à la fumée. Des analyses peuvent être réalisées, mais « elles sont coûteuses et non ciblées. Elles donnent plutôt une estimation du risque », explique Vincent Renouf, directeur du laboratoire Excell. La dégustation des baies est donc un bon moyen d’évaluer le niveau de contamination, bien qu’un biais important existe. « Une fois dans la baie, les composés responsables des goûts de fumée se lient à des glycosides et se retrouvent sous une forme non volatile, donc inodore. Ils seront relargués après la fin des fermentations alcooliques (FA). C’est une bombe à retardement », prévient Rémi Schneider, responsable produits et applications chez Œnobrands.

Laver les raisins, limiter les macérations, enzymer

Pour diminuer le risque de contamination, il est recommandé de laver les raisins, de limiter les macérations et surtout d’utiliser des enzymes glycosidases pour casser les liaisons entre les phénols volatils et les glycosides. « On conseille d’enzymer le plus tôt possible, avant le début des FA ou juste à la fin. Car c’est une réaction qui prend 8 à 9 semaines », explique Rémi Schneider. Durant ce laps de temps, les goûts de fumée dans les vins vont donc augmenter. « Une fois hydrolysés, on peut éliminer ces composés avec des écorces de levures. Le charbon fonctionne aussi mais attention, il n’est pas spécifique à ces molécules », avertit l’expert.

De son côté, la société Michaël Paetzold préconise l’osmose inverse, ou nanofiltration, environ trois mois après la fin des FA. Le procédé a notamment été éprouvé sur des milliers d’hectolitres au Chili, à la suite des incendies de 2017. « À la dégustation après traitement, les vins ne présentaient plus d’arômes de brûlé, alors qu’ils étaient sévèrement atteints avant », affirme Jean-Sébastien Laronche, responsable produit équipement chez Michaël Paetzold. Commercialisée autour de 50 000 €, la machine représente certes un investissement. « Mais en adaptant le couple membrane-charbon, elle peut avoir d’autres applications : élimination des éthyl phénols, désalcoolisation, concentration des moûts… », énumère le responsable. En France, cette application pour gérer les goûts de fumée n’est pas officiellement autorisée. Des travaux sur le sujet sont en cours à l'OIV.

Jouer sur l'effet masquant des levures et privilégier la co-inoculation

De récents travaux menés par le chercheur Sud-Africain Heinrich Du Plessis et présentés lors du dernier congrès de la Sasev (South African Society For Enology & Viticulture) ont par ailleurs mis en évidence la capacité de certaines levures Saccharomyces à adsorber les phénols volatils. « Il y a aussi un effet masque sur lequel on peut jouer en utilisant des levures sélectionnées pour leur impact aromatique, ou en utilisant la co-inoculation pour booster le fruité dans les vins rouges », complète Rémi Schneider.

Lire aussi " Les non-saccharomyces et le goût du vin : stop aux généralités "

Des essais de traitement à l'ozone prometteurs

En Californie, des essais prometteurs de traitement à l’ozone ont été effectués en 2020 par la société Purfresh Wine. Les raisins de sept domaines viticoles, stockés dans des contenairs, ont reçu un traitement à l’ozone de 1 ppm pendant 24h. Par la suite, des dégustations en fût, lors de l'assemblage et à la mise en bouteille, ont permis de valider l’impact positif du traitement à l’ozone sur l’élimination des goûts de fumée. La technique présente toutefois un risque. À dose trop élevée, l’ozone provoque un stress cellulaire, susceptible d’engendrer des déviations organoleptiques.

Témoignage : Thierry Sansot, directeur vigne et vin de la cave coopérative Rhonéa, dans le Vaucluse

« On va coller et débourber serré »

« C’est la première fois qu’on est face à cette situation, qui surgit à seulement quelques jours des vendanges. Notre première action a été de cartographier la zone où l’on risque d’avoir des goûts de fumée et de goûter les raisins. On a décidé de ne pas ramasser ceux qui avaient un goût cendré, ce qui représente 15 ha. Pour le reste, on a isolé les lots pour les vinifier séparément.

À partir de ce que l’on a trouvé dans la littérature, on a décidé d’opter pour un pressurage direct, suivi d’un débourbage très serré, à une turbidité de 50 NTU. Notre pari est d’utiliser une enzyme glycosidase, puis de coller les moûts avec un complexe associant cellulose, charbon et protéine de pois. Par la suite, on sera très vigilant sur les niveaux d’acidité et les odeurs soufrées, qui traduiraient un désordre olfactif et gustatif inhérent aux goûts de fumée. Enfin, on fera appel à un jury expert exercé à détecter ce type d’arômes, que l’on pourra compléter avec des analyses fin FA, même si cela représente un coût important. On va avancer à tâtons. Ce qui est sûr c’est que dans ce genre de situation, la force du collectif est primordiale. Nos équipes sont là pour rassurer nos producteurs, on les accompagne dans le suivi de leurs vignes mais aussi dans leurs démarches administratives, notamment auprès des assurances. Ils apprécient ce soutien et on les sent réceptifs à notre plan d’action. »

Témoignage : Christophe Bonnet, responsable production à la cave des vignerons du Luc, dans le Var

"On prévoit de filtrer les bourbes au tangentiel"

« Les parcelles de grenache noir qui présentent un risque de goût de fumée seront vinifiées comme des domaines. C’est-à-dire qu’un jour sera consacré spécifiquement à la réception de ces raisins, car on n’a qu’un seul conquêt. On a eu la chance d’avoir 50 mm de pluie une semaine après les incendies, ce qui diminue le risque. On prévoit de mettre des enzymes au quai de réception pour casser les liaisons glycosidases le plus tôt possible. On va écourter au maximum le pressurage, refroidir les moûts autour de 14 °C et coller avec de la protéine de pois et de la bentonite. Ce qui m’inquiète le plus c’est la gestion des bourbes. Je pense les passer aux tangentiels avant FA et abaisser la turbidité à 20 NTU. Je n’exclus pas de filtrer également les jus clairs si besoin, et probablement aussi les presses. Ensuite j’adapterai en fonction de la dégustation et je jouerai sur les assemblages. De toute façon, on bénéficie du soutien du Centre du rosé, qui va prélever des échantillons pour mener ses propres essais en fermentation. On suivra ses recommandations. »

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