Les hydrorétenteurs préparent leur grand retour dans les vignes
Une nouvelle génération de polymères super-absorbants issus de matériaux biologiques est en train de naître. Un espoir pour lutter contre le stress hydrique, en particulier sur les plantiers.

Les hydrorétenteurs sont en pleine renaissance. En 2016, des expérimentations en vigne avec le produit Polyter avaient donné des résultats très prometteurs. Mais, faute de validation sanitaire, cela avait fait l’effet d’un pétard mouillé. Depuis, le contexte a changé. De nouveaux polymères capables de retenir des dizaines voire des centaines de fois leur poids en eau apparaissent, affichant une origine biologique et non pétrochimique. Dans le même temps, le climat se montre de plus en plus oppressant, et pousse les viticulteurs à trouver rapidement des solutions. C’est ce qui a motivé Tommaso Frioni, chercheur à l’université de Plaisance, en Italie, à se lancer dans le projet régional In + Vite, en 2022. Ce dernier affichait plusieurs ambitions relatives à la durabilité des vignobles, dont celle d’augmenter la résilience aux fortes contraintes hydriques. « Les hydrogels super-absorbants sont connus depuis longtemps mais font face à deux écueils, relate le chercheur. D’un côté le coût important, et d’un autre côté le polyacrylamide qui les compose bien souvent, molécule assimilable à un microplastique et qui peut se révéler toxique pour l’eau et les sols. »
De fait, il n’existe quasiment pas de publications scientifiques sur l’emploi de ces substances en vigne. Au lancement de ses travaux, Tommaso Frioni a toutefois identifié deux produits dans le commerce, et a donc décidé de les tester. L’un est à base de polyacrylate de potassium, théoriquement moins polluant que le polyacrylamide mais également issu de la pétrochimie, l’autre est entièrement organique, fruit de nouvelles techniques de réticulation.
Des vignes qui poussent davantage dans leurs premières années
Dans un premier temps, le chercheur s’est assuré en laboratoire que les hydrorétenteurs remettent bien l’eau à disposition dans le sol. Ce qui est le cas, puisque ces produits ont permis d’améliorer le potentiel hydrique ainsi que la capacité au champ. « Ils changent entièrement l’hydrologie locale, témoigne Tommaso Frioni. On observe un décalage des propriétés du sol : ceux qui sont sableux se comportent d’un point de vue hydrique comme des sols argileux, et les sols argileux retiennent encore davantage d’eau. » Il a poursuivi l’expérimentation en pots, en contrôlant l’apport d’eau. La présence de gels absorbants a donné lieu à une réduction significative du stress hydrique des plants de vigne. De même, ils ont permis de retarder le point de flétrissement. Au champ, les observations ne sont pas terminées mais affichent d’ores et déjà des résultats positifs. S’il n’a pas constaté de grosse différence en 2023, lors de l’année de plantation des rangs d’essai, il a mesuré des pousses significativement plus longues en 2024 dans la modalité des hydrorétenteurs. Au point d’avoir 84 % de pieds nouvellement établis dans ce dernier cas, contre 63 % sur la rangée témoin.
S’il ne cache pas son enthousiasme, Tommaso Frioni prévient toutefois : il ne faut pas imaginer ces substances comme des produits magiques qui permettraient de transformer un désert en forêt. Pour l’heure, il se focalise davantage sur l’utilisation à la plantation. « Aux doses employées, 100 grammes pour le produit organique et 20 grammes pour celui de synthèse, cela représente respectivement un et deux litres environ d’eau stockée, calcule-t-il. C’est bien peu de réserve pour une vigne adulte ayant 5m2 de feuillage, qui peut transpirer jusqu’à 12 litres d’eau par jour. » Pour le chercheur, les nouveaux hydrorétenteurs organiques sont certes un peu moins performants, mais ce sont eux qui changent véritablement la donne. Car ils sont paradoxalement moins onéreux et – théoriquement – non nocifs.
Des effets sur le régime hydrique et sur la structure du sol
Celui qu’il a testé dans le vignoble de l’Émilie-Romagne est élaboré par une jeune société autrichienne émanant de l’université de Vienne, Agrobiogel. Il est vendu sous la marque Retentis, et homologué en agriculture biologique. « Ce polymère est obtenu à partir de lignine, qui est un sous-produit non valorisé de l’industrie du papier, détaille Christoph Ertl, le directeur commercial. Nous procédons à une réticulation sans processus chimique pour créer des réseaux de molécules en trois dimensions capables de retenir l’eau. » L’entreprise assure un effet dans le sol durant trois à cinq ans selon les conditions pédoclimatiques, et une dégradation naturelle en humus.

D’après ses premiers tests internes sur différentes cultures, dont la vigne, Agrobiogel parle d’économies d’irrigation allant jusqu’à 40 %. Mais également d’un impact positif sur la structure du sol grâce au gonflement des polymères, ayant un effet décompactant. « Sur les cultures pérennes, nous le préconisons plutôt à la plantation, car l’apport est plus facile que sur les parcelles installées, ajoute le directeur commercial. Il permet ainsi une bonne implantation du jeune pied. » Christoph Ertl prévient toutefois : si la pluviométrie de l’année est suffisante, le viticulteur ne verra sans doute pas de différence. Aussi, il voit cela un peu comme une assurance en cas de déficit hydrique, dont la prime s’élève à 0,50 euro par plant (soit 5 euros le kilo de Retentis). Le polymère sera testé cette année en France, et sera distribué dès 2026.
Un meilleur taux de reprise des arbres et davantage de racines
Un autre hydrorétenteur organique est quant à lui d’ores et déjà distribué dans l’Hexagone, par Agripro Distribution. Il s’agit du produit EF Polymer, développé par la firme japonaise éponyme. Cette dernière émane également d’une université et bénéficie des tout derniers fruits de la recherche en chimie. Le matériau de base, cette fois-ci, est constitué de pectines issues de pelures d’oranges et bananes, associées à un agent de réticulation 100 % naturel. Le polymère obtenu est certifié bio par Ecocert. « Nous n’avons pas encore de recul sur la vigne, mais nous en avons par exemple sur des arbres, où l’emploi de notre composé à la plantation entraîne une forte baisse de la mortalité et un meilleur développement du système racinaire », argumente Vincent Dupuy, en charge de développer le marcher français. Le produit EF Polymer est distribué sous forme de poudre ou de granules. Il est plus onéreux au kilo (environ 10 euros) mais il est préconisé à une dose plus faible, 20 grammes par plant. Il se dégrade par ailleurs plus vite que le Retentis, puisqu’il est annoncé avec un effet durant six mois à un an.
Une solution française est par ailleurs en cours de développement, par la jeune pousse montpelliéraine Biomanity. Cette dernière a été fondée en 2018 et collabore avec le CNRS et l'école de chimie de Montpellier. A base de chitosan, son hydrorétenteur est annoncé avec des propriétés et un coût similaires. « Ce super-absorbant est issu de carapaces de crustacés, 100 % biosourcé et biodégradable en une dizaine de mois, assure Jean-François Daniel, cofondateur de l'entreprise. Il est capable de retenir 130 fois son poids en eau. » Un premier essai en Bourgogne sur du maïs a permis d'accroitre le rendement sans avoir recours à l'irrigation. En 2025, une dizaine d'exploitations en grandes cultures et arboriculture (à la plantation) mèneront de nouveaux tests. Une usine est attendue pour 2028. En attendant, l'entreprise cherche des partenaires pour des premiers essais en vigne.
En apparence, ces nouveaux polymères organiques ont tout pour plaire. Mais il y a encore de nombreuses questions à élucider. « Nous avons besoin de davantage de connaissances sur les hydrorétenteurs, estime Tommaso Frioni. Tous les polymères sont différents, nous n’avons pas évalué l’effet des formulations, des doses, de l’approche sur les différents types de sols, de l’effet sur les adventices, l’interaction avec le porte-greffe… » Le chercheur suppute également un fort intérêt en complément de fertirrigation, car ces polymères stockent non pas l’eau pure mais les solutions aqueuses. Il va donc poursuivre ses travaux, en intégrant au projet des spécialistes du sol et des chimistes capables d’analyser la décomposition précise des molécules. D’après lui, l’Espagne et Israël commencent à s’emparer du sujet. Espérons qu’il en soit de même en France, pour faire avancer les connaissances sur ces produits prometteurs.
Quel est le cadre légal ?
La réglementation française sur l’usage de polymères superabsorbants en agriculture est difficile à décrypter, car elle s’étudie produit par produit. En ce qui concerne les hydrorétenteurs à base de polyacrylamide et/ou polyacrylate de potassium, l’Anses a délivré par le passé plusieurs autorisations, mais jamais pour des cultures destinées à l’alimentation humaine (la vigne en faisant partie). À notre connaissance, il ne reste aujourd’hui dans cette catégorie que le produit Capt de la SARL Labi. Le polymère à base de polyacrylate seul qui a été testé sur vignes en Italie, nommé Polygreen, n’est pas répertorié par l’Anses. En ce qui concerne les produits organiques, l’EF Polymer est autorisé en Europe en tant qu’amendement organique du sol au regard du règlement 2019/1009 (vérification faite auprès de l’agence sanitaire). Retentis a été quant à lui enregistré en Autriche avec une portée sur l’ensemble de l’UE, assure l’entreprise.