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Des fermentations alcooliques sous surveillance numérique

Petit à petit, les vinificateurs commencent à s’appuyer sur des outils numériques pour suivre et agir sur le déroulé des fermentations alcooliques. Intégrer les machines dans ses habitudes est un travail de longue haleine, qui sécurise avant tout la qualité.

Les technologies numériques permettent aux œnologues de savoir plus précisément ce qui se passe dans les cuves pendant les fermentations alcooliques, et ce, grâce au cumul des données accessibles depuis un ordinateur.  © J. Gravé
Les technologies numériques permettent aux œnologues de savoir plus précisément ce qui se passe dans les cuves pendant les fermentations alcooliques, et ce, grâce au cumul des données accessibles depuis un ordinateur.
© J. Gravé

« Le numérique est aujourd’hui bien plus développé en viticulture car les problématiques s’y prêtent mieux, introduit Pauline Jouzier, ingénieure en technologies numériques pour l’agriculture à Bordeaux Sciences Agro. Mais il a tout à fait sa place dans les chais et va probablement prendre davantage d’ampleur dans les années à venir. » Alors que la traçabilité a quasiment achevé sa transition numérique, c’est désormais sur les suivis de fermentations alcooliques (FA) que les nouvelles technologies, et notamment l’intelligence artificielle, ont une carte à jouer. Après plusieurs années de développement, les mesures en temps réel sont désormais une réalité, ouvrant la voie à un nouveau champ des possibles.

Des capteurs fiables et performants depuis peu

Au Château Luchey-Halde, site expérimental de Bordeaux Sciences Agro, les FA de cinq cuves inox de 70 à 100 hl font l’objet d’un contrôle automatique depuis maintenant trois ans. Ce suivi est réalisé à l’aide des capteurs développés par la société portugaise Winegrid, qui a justement remporté une citation aux derniers trophées de l’innovation du Vinitech-Sifel pour cette invention. Alors que les sondes sont insérées dans les cuves préalablement trouées, le système nécessite d’avoir à proximité un accès à une prise électrique, et l’installation d’un boîtier diffusant un réseau internet sans fil. C’est ce qui permet aux données de remonter des cuves vers l’interface dédiée, accessible depuis un PC, un smartphone ou une tablette. « Pour la première fois cette année, les données de densités et de températures fournies par le système correspondaient parfaitement à celles que l’on prenait manuellement deux fois par jour », commente Pauline Jouzier. L’ingénieure attribue deux grands bénéfices à cette technologie. « Ça améliore notre réactivité en cas de problème de fermentation, car l’outil est paramétré pour prendre une mesure toutes les 30 minutes », analyse Pauline Jouzier. Grâce à des alertes dont les seuils sont ajustables, la spécialiste est ainsi immédiatement avertie de tout ralentissement ou blocage.

Un suivi automatique du taux de remplissage des cuves

Le système signale par le même mécanisme une éventuelle défaillance du système de thermorégulation. « Pour les caves qui comme nous fonctionnent au ralenti le dimanche, ça permet d’éviter d’envoyer quelqu’un sur site juste pour relever les températures et les densités », commente l’ingénieure. Outre le suivi des données propres à la fermentation alcoolique, le système Winegrid permet également de suivre le niveau de liquide dans les cuves. « Cette information permet d’optimiser la nutrition des levures », explique Winegrid. Une donnée que Pauline Jouzier explique ne pas vraiment savoir comment valoriser. « On est un chai expérimental, donc ces informations-là on les a déjà, mais peut-être que pour des caves plus importantes ça peut être un atout », suppose Pauline Jouzier. À l’avenir, l’experte imagine un développement important de solutions permettant d’accroître la surveillance de la qualité des vins. « Au sein de la filière, il y a des attentes fortes autour des suivis d’évolution des populations de Bretts et du SO2 ».

Un double objectif de sécurisation et de valorisation

Pour Laurent Fargeton, directeur du développement chez Vivelys, l’intelligence artificielle peut aller au-delà du suivi automatique des processus et du contrôle à distance. « Le grand intérêt pour les œnologues est d’obtenir des indicateurs métiers à l’aide des technologies numériques, qui vont permettre à la fois de sécuriser les processus, mais aussi d’agir directement sur la valorisation du produit. » C’est en ce sens que la société montpelliéraine a développé l’outil Scalya, que le responsable qualifie de « savoir-faire embarqué ». Grâce à des capteurs mesurant le flux de CO2, Scalya peut, comme les sondes Winegrid, détecter un ralentissement de FA. Mais il est doublé d’un algorithme permettant par exemple d’enclencher automatiquement un cliquage. « C’est une façon de sécuriser la fermentation, mais ce n’est pas non plus une solution miracle. Si on veut vraiment sécuriser les choses, il faut d’abord travailler sur le levain, sa multiplication et sa nutrition », rappelle Laurent Fargeton. Au fil des ans, Vivelys est venu enrichir cet algorithme de sorte à pouvoir proposer de véritables recettes de fermentation, à appliquer selon les cépages travaillés et les objectifs recherchés. L’outil a gagné en autonomie, de sorte à pouvoir prendre le contrôle sur différents paramètres. « On peut piloter les schémas de vinification en jouant automatiquement sur les apports d’oxygène, la variation de températures, la fréquence et la durée des remontages », illustre Laurent Fargeton. En élevage, les recettes se concentrent sur le pilotage de la micro-oxygénation. « Avec en parallèle une réflexion sur le bois, on arrive à faire passer des vins d’une catégorie B à une catégorie A. Et c’est à mon sens cet objectif de valorisation qu’il faut avoir pour utiliser pleinement le potentiel des automates. » C’est d’ailleurs dans cette logique que la Maison de champagne Moët & Chandon a engagé un travail de fond sur le numérique au chai il y a de cela déjà plusieurs années.

Un gain en précision, en compréhension… Mais pas en tranquillité

Disposant d’une cuverie pilote de 46 cuves, Moët & Chandon a commencé à intégrer Scalya pour le pilotage des FA en 2009 via son département R & D, avant de le déployer sur la partie opérationnelle à partir de 2012. « À terme, l’objectif est que toute la cuverie soit équipée », dévoile Élise Batiot Losfelt, responsable des vinifications Maison. L’œnologue estime que les données que fournissent les capteurs sont indispensables pour progresser. « Cela nous permet d’agir au bon moment pour éviter les défauts ou exprimer au mieux le potentiel aromatique de nos vins », décrit-elle. Elle voit l’analyse des données générées par les capteurs comme un véritable axe d’amélioration continue. Sans délaisser les suivis classiques de densité, qu’elle juge extrêmement robustes, elle se sert des informations fournies par Scalya pour affiner ses décisions, notamment sur l’apport d’oxygène en cours de fermentation. Et le résultat est là : Moët & Chandon n’a plus connu de fermentations languissantes depuis déjà plusieurs années. « Les dégustations par notre panel d’experts révèlent une revalorisation de l’ordre de 4,3 % des volumes vinifiés chaque année sur les cuvées équipées de pilotage des fermentations, expose Élise Batiot Losfelt. Cette revalorisation permet ainsi d’augmenter la qualité globale des cuvées de la Maison." Une façon de rentabiliser l’investissement. "On a des clients chez qui on a pu baisser les coûts de production de 85 % », complète Laurent Fargeton. Mais attention, un résultat pareil demande une attention de chaque instant. « Les capteurs sont fragiles, et chers, donc ça demande beaucoup de vigilance. Il y a un vrai travail à faire sur la maîtrise de l’environnement de la cuve, insiste Élise Batiot Losfelt. On gagne en précision, en compréhension… Mais pas en tranquillité. »

Économie de main-d’œuvre : un résultat potentiel, pas un objectif

Le numérique étant une technologie évolutive, il est possible d’implémenter de nouvelles possibilités aux outils afin de les rendre toujours plus performants. C’est ce que fait actuellement la société Vivelys. « On est en train de développer un système automatique d’injection de nutriments », rapporte Laurent Fargeton.

Intégrer des technologies dans sa façon de travailler est donc un travail de longue haleine, qui nécessite rigueur et technicité. « Quand on s’équipe de tels outils, on peut gagner en confort de travail ou faire des économies de main d’œuvre. Mais l’objectif de départ reste de mieux valoriser les vins », prévient Laurent Fargeton. Lorsque l'on interroge les acteurs du marché, ils sont tous unanimes pour dire que la machine est là pour aider l’Homme, pas le remplacer.

L’Homme, un frein au déploiement des nouvelles technologies dans les chais ?

« Les automates fournissent une grande quantité d’informations, qu’il faut être capable de digérer. Et ça, ça demande du temps », commente Laurent Fargeton de Vivelys. Au-delà de la question de l’appropriation, la priorité est aussi d’apprendre à faire confiance à ces machines, alors que les outils traditionnels, densimètres et thermomètres pour ne citer que ceux-là, sont d’une fiabilité incontestable. « Il y a une transition qui s’opère, avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’œnologues qui a grandi avec l’explosion du numérique et qui n’a pas, ou peu, d’a priori sur ces nouvelles technologies, note Pauline Jouzier. Transition d’autant plus délicate que le secteur du vin bénéficie d’une image artisanale et traditionnelle. Élise Batiot Losfelt, responsable des vinifications maison chez Moët & Chandon, estime pour sa part que l’arrivée de Scalya, l'automate de Vivelys, a entraîné une montée en compétences des équipes de production. « Nos équipes se sont étoffées, côté maintenance bien entendu, mais pas que. On a mis en place des formations internes pour accompagner ce changement, et même si on a encore besoin de temps pour s’approprier pleinement ces nouveaux outils, je dirai que cela nous permet d’avoir un regard différent sur notre métier. Ça nous a fait grandir », analyse-t-elle.

voir plus loin

Les suivis microbiologiques automatisés cherchent leur place

Dans la Drôme, la société System C Bioprocess est spécialisée dans la distribution de solutions et de technologies pour les procédés de culture cellulaire et de fermentation. « On travaille beaucoup sur les levures avec l’industrie pharmaceutique, mais notre savoir-faire est adaptable au secteur vitivinicole », explique Yannick Carfantan, son directeur. Il y a quelques années, des essais de suivis de population de Saccharomyces en cours de FA ont été menés à la cave de Rabastens, dans le Tarn, aujourd’hui propriété du groupe Vinovalie. La sonde, qui fonctionne par capacitance, a été utilisée sur des moûts rouges de thermovinification et des moûts blancs débourbés. « Nous avons démontré qu’il était possible de suivre précisément l’évolution de la biomasse des levures », commente Yannick Carfantan. Ceci suppose toutefois de consacrer du temps à l’étalonnage de la sonde, car elle fonctionne par mesure de la charge ionique qui correspond spécifiquement à un type de micro-organisme. Sans cela, la sonde indique l’évolution de la biomasse totale présente dans le réacteur. La représentativité des mesures est inhérente à une bonne homogénéité au sein de la cuve, ce qui rend ce suivi adapté aux FA, moins à l’élevage. « L’avantage est que les sondes ne sont pas influencées par le sucre, les peaux ou encore les produits ajoutés comme les sulfites », complète Yannick Carfantan. Comme pour les mesures de densités, ces sondes de biomasse sont connectées et les informations remontent sur une plateforme numérique. « Cette technologie a du mal à se développer dans les chais car c’est un investissement lourd, autour de 13 000 € l’ensemble sonde-porte-sonde-transmetteur. En revanche ce n’est pas un matériel fragile ; sa durée de vie se compte en dizaine d’années », précise le directeur.

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