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Chronique
Agriculture biologique : primauté du droit de l’Union européenne

L’arrêt du Conseil d’État rejetant le pourvoi de la société Bionoor sur la question de la viande halal se revendiquant bio montre l’exclusivité du juge de l’Union européenne pour interpréter les règlements de l’Union européenne.

Didier Le Goff, avocat. © DR
Didier Le Goff, avocat.
© DR

Le 31 décembre 2020, le Conseil d’État rendait un arrêt rejetant un pourvoi de la société Bionoor, et mettait par là même un terme à une longue affaire posant la question de savoir si la viande halal peut se revendiquer de l’agriculture biologique et en arborer le logo. En 2012, l’association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) demandait au ministre de l’Agriculture de faire interdire la mention AB sur des publicités et emballages de steaks hachés certifiés halal issus d’animaux abattus sans étourdissement préalable. Cette demande était ignorée par l’organisme certificateur concerné, et écartée par le premier juge.

Il faut rappeler ici que l’agriculture biologique est régie en Europe par deux règlements de l’Union européenne, l’un (834/2007) du Conseil du 28 juin 2007, et l’autre (889/2008) de la Commission, qui est un règlement d’exécution du premier nommé. Parallèlement, un troisième règlement du Conseil (1099/2009), du 24 septembre 2009, est relatif à la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

Tous ces règlements consacrent l’objectif de standards élevés de bien-être animal, à travers des normes renforcées dans tous les lieux et à tous les stades de production, y compris lors de l’abattage. Des études scientifiques ayant établi que l’étourdissement constitue la technique portant le moins atteinte au bien-être animal au moment de l’abattage, c’est cette technique qui est privilégiée, mais le règlement 1099/2009 contient une dérogation à cet étourdissement préalable, fondée sur la liberté de religion.

Le 6 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Versailles posait à la Cour de justice de l’UE la question préjudicielle de savoir si les règles en cause devaient être interprétées comme autorisant ou interdisant la délivrance du label européen « Agriculture biologique » à des produits issus d’animaux ayant fait l’objet d’un abattage rituel sans étourdissement préalable, conduit dans les conditions fixées par le règlement 1099/2009. La Cour de justice répondait très clairement par la négative le 26 février 2019.

Le Conseil d’État rejette l’ultime pourvoi de Bionoor

La mention « halal » n’est donc pas compatible avec les standards de l’agriculture biologique, ce qui, logiquement, conduisait le Conseil d’État à rejeter l’ultime pourvoi de la société Bionoor.

Mais au-delà de cette réponse factuelle, cette affaire est surtout une magnifique illustration de l’exclusivité du juge de l’UE pour interpréter les règlements de l’UE.

L’outil « règlement » étant l’instrument d’harmonisation du droit des États membres par excellence, puisque directement applicable dans tous les États membres sans transposition, contrairement à une directive, il était logique que l’interprétation en revienne au juge de l’UE, faute de quoi nous prendrions le risque d’avoir vingt-sept interprétations différentes d’un même règlement, et l’objectif d’harmonisation du droit des États membres ne serait qu’illusoire.

Pour autant, l’on peut admettre l’argument de la lourdeur d’une telle procédure, car au cas d’espèce, près de huit ans ont séparé l’interrogation initiale du ministre, de la fermeture du ban par le Conseil d’État.

À quand des lignes directrices pour le bio ?

La seule réponse de la Cour de justice à la question qui lui était posée a demandé vingt mois. Or, la réglementation de l’agriculture biologique est particulièrement complexe, surtout dans sa phase d’application qui contient de nombreuses dispositions techniques, susceptibles de rendre nécessaire une interprétation.

Il fut un temps où l’Inao avait élaboré un Guide de lecture des règlements 834/2007 et 889/2008, en précisant que ce guide n’avait pas de valeur juridique, mais que de nombreux organismes certificateurs appliquaient à la lettre, comme s’il s’agissait d’une vraie norme, alors qu’à ce stade, et sans l’aval du juge de l’UE, il ne pouvait s’agir que d’une interprétation.

Or, il est évident que dans une matière aussi complexe, une interprétation officielle serait salutaire. Dans d’autres domaines, la Commission publie des lignes directrices qu’elle met à jour si nécessaire. Pourquoi ne pas y songer pour l’agriculture biologique ?

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire, parfums, fleurs et leurs produits dérivés : www.leschampsdudroit.fr.

Rédaction Réussir

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