Détermination du prix de vente : contrôle ou pas contrôle ?
La Cour de cassation a rendu, le 25 janvier 2017, son arrêt dans l’affaire E.Leclerc, confirmant celui de la cour d’appel de Paris du 1er juillet 2015, qui condamne l’enseigne à rembourser plus de 60 millions d’euros à ses fournisseurs sur le terrain du déséquilibre significatif.
Le grief majeur stigmatisé était le bénéfice par l’enseigne d’une ristourne inconditionnelle dont la contrepartie ne ressortait pas de la convention d’affaires conforme à l’article L441-7 du Code de commerce. « Normal, disait l’enseigne, puisqu’elle est inconditionnelle. » Elle n’est pas soumise à une contrepartie, mais n’en constitue pas moins un élément du prix de vente tel que celui-ci ressort de la convention d’affaires. Plus subtilement encore, elle avait observé que, puisque le Conseil constitutionnel avait assimilé le déséquilibre significatif du Code de commerce à la prohibition des clauses abusives prévue par le Code de la consommation et « suffisamment définie par la jurisprudence », la loi posait en principe que le déséquilibre significatif constitutif de clause abusive ne pouvait pas porter sur l’adéquation du prix au bien vendu. Par voie de conséquence, il devait donc en aller de même pour le déséquilibre significatif du Code de commerce. Il faut dire, pour être tout à fait clair, qu’en droit commun de la vente, le prix fixé est un élément fondamental que le juge ne peut pas modifier. Mais il a toujours pu en apprécier les conditions de formation, au titre du contrôle des conditions de formation du contrat.
Négociabilité des prix et conditions de vente
C’est ainsi que la cour d’appel avait balayé cet argument, en affirmant que malgré l’assimilation faite par le Conseil constitutionnel, il pouvait exister des différences d’approche entre deux réglementations n’ayant pas la même nature ni la même fonction. Et qu’au cas d’espèce, la libre négociabilité des prix et conditions de vente n’était pas sans limite, puisqu’elle est encadrée par le droit des pratiques restrictives dont fait partie le déséquilibre significatif. Le juge étant en droit de sanctionner même lorsque la clause en question est relative à la détermination du prix, tout en ayant rappelé au préalable, et dans le même paragraphe, que « le juge judiciaire ne peut contrôler les prix qui relèvent de la négociation commerciale ». Autrement dit, la Cour opposait le contrôle des conditions de formation du prix – possible – au contrôle du prix convenu – impossible !
Pour autant, était-ce vraiment si différent, surtout dans une instance qui vise à voir condamner l’enseigne à répéter l’indu, c’est-à-dire à restituer une partie du prix convenu, ce qui est la marque manifeste de ce qu’au travers du contrôle des conditions de formation du prix, c’est bien le prix convenu qui est stigmatisé. Or, c’est cet arrêt que la Cour de cassation vient de confirmer intégralement, ce qui a deux conséquences.
La convention d’affaires doit pouvoir être contrôlée
La première conséquence, c’est que la convention d’affaires doit être envisagée comme un contenu rendant compte du déroulement de la négociation commerciale qui doit pouvoir être contrôlé dans ses moindres détails, ce qui est une confirmation plutôt qu’une nouveauté. La seconde amène au contraire à s’interroger sur l’avenir de cette jurisprudence, car depuis le 1er octobre 2016, la notion de déséquilibre significatif a fait son apparition dans le droit commun des contrats, prenant rang à l’article 1171 du Code civil.
Certes, ces dispositions nouvelles ne pouvaient s’appliquer à l’espèce tranchée par la Cour de cassation, et le nouveau texte ne vise que les contrats d’adhésion, c’est-à-dire des contrats prérédigés. Mais la pratique jurisprudentielle du déséquilibre significatif est précisément très attentive à analyser un contrat, clause par clause, et considère qu’une clause qui paraît ne pas avoir été négociée, et à laquelle le cocontractant a donc purement et simplement adhéré, est l’indice d’un déséquilibre significatif. Or, le deuxième alinéa de l'article 1171 du Code civil reprend du Code de la consommation la précision selon laquelle l’appréciation du déséquilibre significatif ne peut porter ni sur l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
La jurisprudence commerciale maintiendra-t-elle son affirmation de l’autonomie du droit commercial par rapport au droit commun comme elle vient de l’affirmer par rapport au droit de la consommation ?
Maître Didier LE GOFF
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier LE GOFF a créé, en 2016 une structure dédiée à l’entreprise et à l’écoute de ses besoins, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété Intellectuelle, Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du Marché de l’Université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire (SICO/mise en marché/structures/responsabilité civile ou pénale/étiquetage facturation/CGV/contrats d’affaires,…) tant en droit national qu’européen ou international.
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