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Retour des promotions à -50% dans l’alimentaire ? L’histoire d’un rétropédalage à Bercy

Que s’est-il passé entre l’annonce de Bruno Le Maire sur France inter lundi et son renoncement le lendemain à la proposition de réautoriser les promotions à -50% dans l’alimentaire ? Décryptage.

Mardi 5 juillet au matin, Bruno Le Maire reçoit Christiane Lambert et Jérôme Despey, respectivement présidente et secrétaire général de la FNSEA, ainsi qu’Arnaud Gaillot, président de Jeunes agriculteurs.
© compte twitter FNSEA

[Mis à jour le 8 juillet à 8h30]

« Les promotions ne peuvent pour l’instant pas excéder 34% de remise, je propose qu’on relève à 50%, pour avoir des prix cassés pour ceux qui en ont besoin ». Lâchée lors d’une matinale sur France Inter lundi 4 juillet, cette petite phrase de Bruno Le Maire a fait l’effet d’une bombe dans la filière agroalimentaire. Celui qui a été ministre de l’Agriculture durant trois ans ne pouvait pas ignorer en la disant qu’il revenait ainsi sur une pièce maîtresse de la loi Egalim 1 (l’idée étant alors d’empêcher le bradage des prix alimentaires sur certains produits comme la viande de porc). Et ce au moment où les agriculteurs doivent faire face à une flambée de leurs coûts de production, exacerbée par la guerre en Ukraine. Une annonce faite à la veille de la présentation d’un paquet législatif sur le pouvoir d’achat (ce jeudi 7 juillet) et après que le président du comité stratégique des centres E.Leclerc, Michel-Edouard Leclerc, ait jugé « suspectes » certaines hausses de prix demandées par les industriels.

Très surpris par cette annonce qui n’avait absolument pas filtré avant, les organisations professionnelles agricoles ont immédiatement réagi auprès de tous leurs contacts, à tous les niveaux de l’Etat.

Lire aussi : Les propos de Bruno Le Maire sur les promotions restent en travers de la gorge de la FNPL

La FNSEA reçue par Bruno Le Maire

« Dès 7h30 lundi 4, mon téléphone s'est mis à carillonner », confie Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. « Ca faisait plus de quinze jours que Michel-Edouard Leclerc faisait pression sur Egalim, Bruno Le Maire n'était plus aux réunions du jeudi sur les relations commerciales depuis 3 semaines » poursuit-elle, soulignant que l’arrivée de Morgane Weill, directrice exécutive Market France de Carrefour, au cabinet de Bruno Le Maire n’est pas non plus passé inaperçu.

La présidente de la FNSEA interpelle immédiatement par SMS à tous les niveaux : rue de Varenne (et obtient immédiatement le soutien de Marc Fesneau), Matignon et même l’Elysée, où elle rappelle à Emmanuel Macron sa promesse d'avant élection.

Le timing est important : une grande réunion à l’Elysée doit se tenir le 5 juillet à 10 heures sur la politique à mettre sur pied face à la crise du pouvoir d'achat.

De son côté Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, intervient dès le 4 juillet au soir sur BFMTV pour rappeler le but de la loi Egalim qui était de « préserver la rémunération des agriculteurs ». « Je ne pense pas que passer la valeur de la promotion de 34 à 50% soit en mesure d’améliorer les choses. Ca veut dire qu’on fait supporter le poids de la crise sociale aux agriculteurs or c’est l’exact opposé de la loi Egalim. Le bradage de l’alimentation à coups de promotion n’est pas un bon message envoyé au consommateur. L’alimentation a un coût et il doit être respecté », a-t-il déclaré dans l’émission Calvi 3D.

Mardi 5 juillet au matin, selon nos sources, Bruno Le Maire se fait recadrer par l'Elysée. Le ministre de l'économie se serait alors défendu en disant avoir voulu « mettre un coup de pied dans la fourmilière ».  Il reçoit à 13h (au lieu de 12h la réunion à l'Elysée ayant duré plus longtemps que prévu) Christiane Lambert et Jérôme Despey, respectivement présidente et secrétaire général de la FNSEA, ainsi qu’Arnaud Gaillot, président de Jeunes agriculteurs.

 

Le ministre de l'Economie revient sur sa proposition

Devant eux, Bruno Le Maire s'engage « à ne pas mettre en oeuvre cette proposition, qui n'était encore qu'une suggestion, à l'issue de la mission confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) » sur la formation des prix alimentaires, explique Bercy à l’AFP dans l’après-midi. Et Bercy de faire passer le message à l'agence de presse que le ministre a « entendu » et « compris les inquiétudes » des agriculteurs sur les conséquences éventuelles d'une telle mesure sur la juste rémunération des producteurs, jugeant inutile de « d'attiser les angoisses » dans le monde agricole.

Alors que Bruno Le Maire annonce le lancement d’une enquête de l’IGF pour vérifier la formation des prix des produits alimentaires en cette période d’inflation sur 15 produits de base, FNSEA et Jeunes agriculteurs se félicitent à l’issue de cette réunion que « le Ministre ait réaffirmé son soutien plein et entier aux dispositifs qui ont permis de remettre en marche avant la construction des prix agricoles et de sanctuariser le prix des matières premières agricoles dans les négociations entre industriels et grande distribution ». « Il a ainsi confirmé que le gouvernement n’apporterait aucune modification aux principes de relèvement de 10% du SRP et de limitation des promotions en volume (25%) et en valeur (34%) » soulignent les deux syndicats. « Un message clair de soutien aux agriculteurs et aux entreprises », alors que « certains acteurs de la distribution n’ont de cesse de vouloir détricoter les Egalim, à leur seul profit », pointent-ils encore dans un communiqué.
 

Une mission de l’IGF sur la transparence des marges

La mission de l’IGF devrait porter sur la transparence des marges à chacun des maillons pour détecter « des marges excessives ». Une mission, à laquelle un représentant de la profession agricole participera, et donc saluée par les syndicats.

A Bercy, on souligne aussi que la DGCCRF a réalisé plus de 1200 contrôles depuis le début de l'année sur le secteur alimentaire. Des contrôles qui seront renforcés, via des enquêtes « par filière entière », a indiqué Bruno Le Maire.  Un "guichet unique" devrait être opérationnel dès cette semaine pour que les entreprises signalent les "irrégularités" qu'elles constateraient dans la formation des prix.
 

« Nous nous retrouvons les témoins impuissants d’un chantage au pouvoir d’achat »

Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, a déclaré dans l’après-midi à la presse : « la question du pouvoir d'achat, véritablement sensible, doit trouver une réponse adéquate. Cette réponse, c'est le chèque alimentaire, qui pourra bénéficier à ceux qui en ont besoin en priorité. Augmenter la possibilité de promotion de 34% à 50% n'est en aucun cas la solution : elle revient à laisser penser que la moitié de la production agricole et agroalimentaire française ne vaut rien ».

L’association nationale des industries alimentaires y est aussi allée de son communiqué, alertant : « il est important de rappeler que ces promotions sont financées par les entreprises alimentaires et non par les distributeurs ». « Passer de 34% à 50%, à volumes de promotions constantes, revient à augmenter les coûts pour les industriels. Cela reviendrait à renforcer la pression sur les entreprises et les agriculteurs qui sont déjà étranglés par les hausses de leurs coûts de production liées à la guerre en Ukraine et par 9 années consécutives de baisses des prix », a prévenu l’association qui souligne : « aujourd’hui, les renégociations commerciales avec la grande distribution se passent mal ». « Nous nous retrouvons les témoins impuissants d’un chantage au pouvoir d’achat qui met en péril les exploitations agricoles, les entreprises, les emplois et notre alimentation dans toute sa diversité », déplore l’Ania.
 

De nouvelles réunions prévues

Si Bruno Le Maire a promis aux agriculteurs de ne pas remettre cette proposition sur le tapis, le sujet, poussé par certains distributeurs dont Michel-Edouard Leclerc, risque de revenir de manière récurrente lors des débats sur le pouvoir d’achat. Très vigilante sur le sujet, la FNSEA affirme avoir obtenu le principe d'un rendez-vous avant la fin de l’été pour « continuer un dialogue indispensable entre le Ministre de l'Economie et des finances, le Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et le syndicalisme majoritaire dans l'objectif de souveraineté alimentaire française ». D'ici là, « nous attendons que ces messages soient clairement rappelés lors du prochain comité de suivi des négociations commerciales, qui se tient ce jeudi, et pour laquelle la présence de tous les ministres est vivement attendue », indiquent la FNSEA et Jeunes agriculteurs.

 

La FNSEA ne relâche pas la pression

Et avant cette réunion Christiane Lambert présidente de la FNSEA ne relâche pas la pression. « Les prix cassés, ça casse l'économie, ça casse les entreprises, ça casse l'agriculture, ça casse les emplois en France. Est-ce que c'est ce dont on a besoin ? Ça fait dix ans que les prix ont baissé pour l'alimentation en France. Jamais les prix ont été aussi bas, jamais il y a eu autant de précaires alimentaires. Donc la méthode Leclerc des prix très bas, ça ne marche pas. C'est ce que nous avons dit à Bruno Le Maire. Nous sommes même surpris qu'il ait lui-même proposé ça. Il y a eu un tollé chez tous les agriculteurs, les industriels, les coopératives... Il est revenu en arrière. Tant mieux, c'était indispensable », a-t-elle déclaré hier sur France Info.

« Nous comprenons le problème du pouvoir d’achat mais les super promos sur l’alimentation en sont pas la solution et ne peuvent qu’affaiblir l’outil de production agricole », a-t-elle à nouveau martelé ce matin sur RMC.

Contactée jeudi 7 juillet au soir, Christiane Lambert se félicite que le jour même lors de la réunion du suivi des relations commerciales Roland Lescure, ministre de l'Industrie, ait aussi repris le message qu'il n'y aurait pas de retour sur la loi Egalim. Pour autant elle reste hyper vigilante sur le sujet.

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