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Production laitière - La crise s'installe

Le déséquilibre entre l'offre et la demande engage la filière laitière dans une crise dont aucun expert ne prédit une sortie à court terme.

Quand les marchés sont au vert et les courbes à la hausse, on entend peu parler de la volatilité. Pourtant depuis 2007, date de l'aboutissement du démantèlement de la politique laitière européenne démarré en 2003, elle est là. L'année 2009 en témoigne. Et c'est à nouveau le cas aujourd'hui. Après les années engageantes de 2013 et 2014 - ou plus précisément le premier semestre 2014 -, qui ont enregistré les cours les plus hauts de l'histoire pour les produits échangés sur les marchés mondiaux, nous voici précipités dans une chute elle aussi historique des cours mondiaux. On parle de crise et celle-ci s'installe.

« L'explication est à chercher du côté du couple offre/demande », selon Gérard Calbrix, d'Atla. Un déséquilibre de 1 % à ce niveau, comme cela a été le cas en 2014, se traduit par une chute de la valeur des produits échangés sur le marché mondial dans un rapport qui frôle les 30 % à 40 % Ainsi, le cours de la poudre de lait écrémé est passé de 3 250 euros par tonne début 2014 à moins de 1 750 euros début 2015, pour se stabiliser autour de cette valeur.

« La libéralisation des marchés a mis la filière laitière européenne en prise directe avec les marchés mondiaux », souligne Gilles Psalmon, directeur de la FNPL. La France exportant plus de 40 % de son lait subit de plein fouet la volatilité des cours sur lesquels est indexé le prix du lait payé aux producteurs. « Celui-ci a chuté de 16 % en 2015 par rapport à 2014, entrainant dans son sillon le revenu des producteurs, notamment ceux qui ont investi pour moderniser leur installation en vue de la fin des quotas et pour bénéficier d'une demande mondiale que les économistes et les entreprises ne cessent de souligner.»

DES CAUSES MULTIPLES

Les causes de ce déséquilibre offre/demande sont multiples, explique l'économiste de la DG Agri Tassos Haniotis. « Nous ne vivons pas la même crise que celle de 2009. La demande était alors restée forte, permettant au prix du lait de reprendre sa croissance tant bien que mal. La situation aujourd'hui est différente. Nous assistons à une tendance à la baisse généralisée des prix des produits agricoles et le lait n'y échappe pas », souligne-t-il, insistant sur l'augmentation du cheptel européen. En effet, depuis 2013, le nombre de vaches laitières dans les pays de l'Union européenne, premier producteur de lait au monde, n'a cessé d'augmenter après avoir connu une longue période de stabilité. « Ceci présageait du développement du potentiel de la production laitière européenne, complète-t-il. C'était également le cas aux États-Unis et en Océanie. » Il ajoute à la liste des facteurs responsables du déséquilibre : le ralentissement de la demande chinoise, l'embargo russe, l'augmentation de la valeur du dollar, la chute du prix du pétrole...

La Commission européenne, qui a mis sur la table 420 millions d'euros pour le secteur l'automne dernier et ouvert des aides au stockage privé pour répondre à la crise, ne prévoit aucune autre mesure. « Nous ne voulons pas remplacer les signaux des marchés. C'est ce qui permet de faire le moins d'erreurs », justifiait Tassos Haniotis, lors d'une conférence de presse à Bruxelles fin janvier. Pourtant, si la France a réagi en limitant sa production laitière par la contractualisation (+0,1 % de janvier à novembre 2015 par rapport à 2014), certains pays européens semblent moins sensibles à ces signaux de marché. Les producteurs irlandais et néerlandais sont à des taux de croissance de +13 % et +6 % respectivement sur la même période, selon le MMO (Milk Market Observatory). Le président de la FNPL parle de « dumping ». « Nous ne changerons pas les orientation de la PAC », répondait Phil Hogan, le commissaire européen à l'Agriculture lors de cette même conférence de presse, tablant sur un regain de compétitivité à moyen terme et soulignant les possibilités offertes par la politique de développement rural pour répondre à cette crise. Les experts économiques annoncent une hausse annuelle de la demande mondiale de +2,3 % de 2015 à 2025. Tassos Haniotis ajoute à cela une augmentation de la consommation intérieure de l'Europe pour les fromages, le beurre et la crème. « L'Europe devrait produire 15 millions de tonnes de plus d'ici 2025 (par rapport à 2015). Une avancée plus importante que celle attendue aux États-Unis et en Nouvelle Zélande. Le prix du lait va récupérer lentement. Il va falloir ajuster le cheptel », conseille-t-il.

LE TON MONTE EN FRANCE

En attendant, le ton monte en France. « Le prix du lait ne permet plus de vivre. Cela va très mal dans les campagnes : beaucoup d'éleveurs n'arrivent plus à faire face. Le taux de restructuration pourrait atteindre 10 % voire plus cette année», alerte Thierry Roquefeuil, président de la FNPL. Les producteurs demandent le partage de la volatilité avec les entreprises et la distribution et lancent une charte des valeurs qu'ils souhaitent voir signer par tous les acteurs (lire RLF n° 758, page 7).

Le sujet a dépassé la sphère agricole pour atteindre la sphère publique. Le Sénat a proposé une loi pour la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, qui a été rejetée à l'Assemblée nationale. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a affirmé en réponse que plusieurs propositions concernant la contractualisation seraient reprises dans la loi Sapin II sur « la transparence de la vie économique », et que la non-marchandisation des contrats laitiers serait également discutée et intégrée, de même que la référence au prix de la matière première payée au producteur dans les contrats entre industriels et grandes surfaces. Un rendez-vous a été organisé par le gouvernement avec la grande distribution qui « a promis de faire preuve de responsabilité et de solidarité ». À cette occasion, Manuel Valls a interpelé l'Europe pour une plus grande réaction. À suivre.

RENDEZ-VOUS PRIS POUR LE 14 MARS

Lors de la réunion des ministres de l'Agriculture européens le 15 février, le commissaire Phil Hogan a reconnu la nécessité de proposer de nouvelles mesures au Conseil du mois de Mars. Selon Stéphane Le Foll, d'autres pays, notamment la Pologne, l'Espagne, l'Italie, l'Irlande, la Belgique... ont globalement soutenu les propositions du mémorandum français, précisant toutefois que l'Allemagne était d'accord sur « le constat » fait par la France, mais pas sur les « solutions », restant opposée à toute nouvelle mesure de régulation publique. En somme, pas de mesures immédiates. Il faut encore « travailler » pour espérer des décisions des vingt-huit, le 14 mars, a dit Stéphane Le Foll. Phil Hogan a demandé à tous les États membres de lui présenter leurs propositions d'ici le 25 février.

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