Porc : « le choix de la Chine de cibler l’agriculture européenne n’est pas anodin »
Les Marchés ont échangé avec Simon Lacoume, économiste sectoriel chez Coface, expert mondial en assurance-crédit, pour décrypter la situation du marché du porc en Chine et ses répercussions sur l’Europe.
Les Marchés ont échangé avec Simon Lacoume, économiste sectoriel chez Coface, expert mondial en assurance-crédit, pour décrypter la situation du marché du porc en Chine et ses répercussions sur l’Europe.

Les Marchés : Quelle est la situation du marché du porc en Chine actuellement ?
Simon Lacoume : En Chine, le prix du porc continue de reculer, à cause d’une offre largement suffisante. C’est un signal défavorable pour les exportateurs européens. Depuis la mi-2022, la viande de porc y a perdu plus de 50 % de sa valeur. Cela traduit un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande, qui a fortement pesé sur les cours ces trois dernières années.
« Pékin insiste auprès des grandes entreprises porcines pour qu'elles réduisent leur cheptel de truies et abaissent le poids des carcasses »
Actuellement, Pékin insiste auprès des grandes entreprises porcines pour qu'elles réduisent leur cheptel de truies et abaissent le poids des carcasses, signe des difficultés à stabiliser le marché.
Les Marchés : Comment la Chine en est arrivée là ?
Simon Lacoume : La Chine fait face à une surcapacité de production dans plusieurs secteurs économiques, dont l’agroalimentaire. Le porc en est un exemple frappant.
L’épizootie de peste porcine africaine, qui a sévi courant 2018- 2019, avait entraîné un abattage massif des porcs dans le pays. A ce moment-là, les importations n’étaient pas problématiques, puisqu’elles permettaient de répondre à la demande intérieure chinoise. Depuis, le cheptel a été reconstitué, dépassant même les objectifs de Pékin. La production est aujourd’hui suffisante, voire excédentaire, dans un contexte où la croissance ralentit : de 5 % du PIB en 2024, elle est attendue à 4,8 % en 2025, puis à un peu moins en 2026.
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Les Marchés : Pourquoi Pékin a ajouté des barrières commerciales à l’agriculture de l’UE ?
Simon Lacoume : La Chine a agi en représailles des investigations européennes anti-dumping sur les véhicules électriques chinois. Elle a lancé des investigations similaires sur les produits porcins, le cognac et les produits laitiers européens.
Pékin estime que, via les mécanismes de la PAC, ces filières bénéficient de soutiens assimilables à une concurrence déloyale pour les producteurs chinois.
« Pékin estime que, via les mécanismes de la PAC, ces filières bénéficient de soutiens »
Politiquement le choix de la Chine de cibler l’agriculture n’est pas anodin, c’est un sujet hautement sensible en Europe, comme l’ont montré les nombreuses manifestations agricoles qui ont eu lieu partout dans l’UE, l’année dernière. En restreignant ses importations, la Chine compte donner un peu d’air au commerce chinois et envoie un signal fort à Bruxelles.
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Les Marchés : Quelles conséquences pour le marché européen du porc ?
Simon Lacoume : Elles sont doubles. D’une part une perte directe de revenus à l’export, car le marché chinois risque de se fermer par manque de compétitivité pour les produits porcins européens. D’une autre part, on s’attend à une contraction des marges par carcasse, car une partie ne sera plus valorisée. Les morceaux très recherchés en Chine, comme les abats, auront du mal à trouver des débouchés aussi rémunérateurs sur le marché européen. Le prix moyen par carcasse devrait ainsi reculer, entraînant une baisse de rentabilité pour les producteurs.
«Le prix moyen par carcasse devrait ainsi reculer»
Les pays les plus exposés sont la France et l’Espagne. En 2024, la Chine représentait 9,5 % des exportations porcines espagnoles soit environ 600 millions d’euros et 8,5 % des exportations françaises soit près de 100 millions d’euros.
Mais l’inquiétude est plus large. Ce qu’on observe aujourd’hui sur le porc, on le craint pour le secteur laitier. Dans ce cas, la France serait particulièrement impactée car la Chine représente 20 % des exportations françaises de lait et 15 % des exportations françaises de poudre de lait.
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Les importateurs chinois pénalisés par les surtaxes de Pékin
En ce qui concerne la mise en application des mesures antidumping, un industriel a confirmé à notre média que les cautions imposées par Pékin ont été prélevées dès le 10 septembre, y compris pour des cargaisons de porc déjà en mer à destination de la Chine. Ce sont donc les importateurs chinois qui ont dû s’en acquitter. Le montant de cette caution varie entre 15,6 % et 62,4 % selon le pays. Pékin se réserve le droit de la retenir ou de la restituer à l’issue de son verdict final sur l’enquête antidumping concernant la viande porcine, attendu pour cette fin d’année.