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Chronique
Les « exploitants du secteur alimentaires » face à leurs responsabilités

La très médiatique affaire Lactalis a été l’occasion d’entendre beaucoup d’affirmations, pas toujours fondées, sur les responsabilités susceptibles de peser sur les différents opérateurs intervenant dans une filière alimentaire donnée lorsqu’un produit présente un risque, réel ou supposé, pour la santé humaine.

Samuel Crevel, avocat-associé au cabinet Racine.
© DR

Des règles relativement précises encadrent la responsabilité des opérateurs de l’agroalimentaire. Elles ont pour socle un règlement du Parlement européen du 28 janvier 2002 (178/2002) « établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire » laissant peu de latitude aux États membres de l’UE. En France, les dispositions d’application se retrouvent essentiellement dans le Code rural et le Code de la consommation. L’article 14 du règlement prohibe la mise sur le marché d’une denrée alimentaire précisée « dangereuse », étant précisé qu’est réputée telle une denrée considérée soit comme « préjudiciable à la santé » soit « impropre à la consommation humaine ».

Cette prohibition pèse généralement, aux termes de l’article 17 du règlement, sur les « exploitants du secteur alimentaire ». Cette formule vise, outre le producteur de denrées, tous les autres opérateurs de filière : le conditionneur, le distributeur, le détaillant… Est instaurée préventivement, à l’égard de tous ces opérateurs, une obligation de vérification constante et de traçabilité des denrées.

Obligation de réagir

Mais si à cause de l’inattention ou de la négligence d’un producteur, il advient que malgré ces précautions, un produit « dangereux » est commercialisé, une réaction s’impose. Cette obligation de réagir prend concrètement deux formes. D’une part, les exploitants concernés doivent prévenir du risque les autorités sanitaires de leur pays, pour que l’information puisse être diffusée à grande échelle si besoin. En France, cette mission est confiée à l’agence Santé publique France (laquelle peut être aussi alertée par tout intéressé, une association de consommateurs par exemple ou par une autre administration). D’autre part, obligation est faite à ces mêmes exploitants de retirer ou de rappeler le produit suspect de dangerosité pour éviter qu’il ne soit consommé.

L’efficacité de ces deux mesures repose grandement sur l’obligation faite aux exploitants de regrouper les produits dans des lots différenciés permettant de les identifier. Le règlement édicte la présomption selon laquelle lorsqu’un produit dépendant d’un lot doit être regardé comme dangereux, c’est le lot tout entier qui doit être retiré/rappelé.

Responsabilités pénale et civile

Les États membres de l’UE sont chargés par le règlement de contrôler le respect de cette réglementation par les exploitants nationaux. Ils disposent du pouvoir de pallier leur carence en organisant les mesures s’imposant. Dans l’affaire Lactalis, l’État français a fait usage de cette prérogative. Le règlement fait enfin peser sur ces mêmes États, classiquement, le soin d’édicter le dispositif de sanction.

En France, les sanctions virtuellement encourues par l’exploitant du secteur alimentaire défaillant sont de deux ordres : une responsabilité civile l’obligeant à indemniser les victimes du produit défectueux et une responsabilité pénale dérivant de plusieurs infractions susceptibles de se cumuler. D’un côté, un délit spécial exposant le contrevenant à de lourdes peines d’amende et d’emprisonnement en cas d’inertie coupable à exercer un rappel ou un retrait lui incombant (article L 452-5 du Code de la consommation) ; d’un autre côté, des infractions générales du Code pénal telles que les coups et blessures involontaires, la mise en danger d’autrui ou la tromperie.

L’État est également susceptible d’être poursuivi en indemnisation par une victime du produit démontrant qu’il a manqué à son obligation de contrôle.

Il n’est pas exclu que, cumulativement, plusieurs exploitants et même l’État soient actionnés si chacun pour sa gouverne a manqué à ses obligations. Par exemple un producteur mettant sur le marché un produit dangereux qui tarde à le signaler après découverte de la défectuosité et un distributeur faisant preuve d’inertie dans le processus de retrait/rappel. La responsabilité naît souvent en la matière d’une insuffisante vitesse de réaction.

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de la Revue de droit rural depuis 2006.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75008 Paris - www.racine.eu

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