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Interview du directeur général de Maïsadour
« Le modèle coopératif est capable d’apporter de la transparence »

Christophe Bonno, arrivé fin octobre 2021 à la direction générale de Maïsadour, confie aux Marchés les défis à relever pour le groupe coopératif et réagit à la nouvelle loi sur les relations commerciales.

Christophe Bonno, directeur général de Maïsadour.
Christophe Bonno, directeur général de Maïsadour.
© Maïsadour

Les Marchés Hebdo : Vous venez de prendre la direction générale du groupe Maïsadour. Quelles sont vos priorités pour 2022 ?

Christophe Bonno : La mission qui m’a été confiée est celle de transformer le groupe vers plus de durabilité et d’impulser une culture de la performance. Nous avons besoin d’une rentabilité durable pour financer la transition agroécologique et résister aux différents aléas climatiques et économiques. Le groupe a dû faire face à un troisième épisode d’influenza aviaire, à des récoltes difficiles en maïs, etc. L’idée est de construire un groupe solide pour résister à ces difficultés. La coopérative doit se transformer pour une meilleure rentabilité et plus de durabilité.

LMH : Où en est le rapprochement avec Euralis dans la filière canard gras et saurisserie ?

C. B. : Des discussions se sont ouvertes avec Euralis. L’objectif est clairement de faire émerger un acteur de premier plan sur la filière foie gras pour la pérenniser. Le marché est très fragmenté. Avec cette opération, le nouvel ensemble représentera 13 millions de canards sur un marché de 29 millions. Le projet est désormais sur la table de l’Autorité de la concurrence. L’instruction est en cours, nous attendons des réponses au cours du 1er trimestre 2022.

LMH : Comment la filière foie gras peut-elle se relever des années difficiles qui viennent de passer ?

C. B. : Nous devons surtout éviter un nouvel épisode d’épizootie. Nous sommes tous mobilisés pour respecter la réglementation, et notamment la mise à l’abri des volailles. Si tout le Sud-Ouest respecte strictement ces règles, nous serons capables de circonscrire les foyers. Pour le reste, le marché se porte plutôt bien. Quand nous aurons traité ce sujet sanitaire et retrouvé une taille critique dans le cadre de notre projet de rapprochement avec Euralis, nous pourrons redévelopper la production pour répondre à la demande.

Redévelopper la production pour répondre à la demande

LMH : Comment réagissez-vous quand certaines mairies écologistes bannissent le foie gras ?

C. B. : Ces décisions fragmentent la société alors que les consommateurs sont plutôt adeptes de ce produit considéré comme emblématique du patrimoine gastronomique français. J’entends que le sujet est lié au bien-être animal. Depuis mon arrivée au sein de la coopérative, j’ai rencontré des éleveurs attentifs à leurs animaux, qui travaillent avec passion, dans le respect de la biodiversité et du bien-être animal. Nous testons constamment des nouvelles techniques pour améliorer le bien-être animal.

LMH : Pensez-vous que d’autres concentrations doivent être opérées entre coopératives ?

C. B. : Nos clients sont très concentrés et forment même des alliances à l’achat. À mon arrivée, j’ai constaté que Maïsadour avait aussi beaucoup d’alliances avec des coopératives et des acteurs privés. Ces alliances permettent de massifier des volumes, sur des métiers où nous n’avons pas la taille critique. Avec Euralis, c’est exactement ce que nous projetons de faire dans le foie gras ou alors avec le développement d’une filière soja en France avec Vivadour et la création de Graines d’Alliance. Si d’autres alliances doivent se nouer, il ne faut pas oublier que le fondement d’une coopérative est lié au territoire et au développement de la valeur ajoutée agricole.

LMH : Votre vision des relations commerciales a-t-elle évoluée en passant d’un distributeur-industriel à une coopérative, qui tend aussi à développer ses circuits de distribution ?

C. B. : Ma vision n’a pas changé. Après vingt-deux ans passés du côté de la distribution, je connais très bien les demandes des distributeurs sur le prix, la qualité du taux de service, la performance de l’offre, etc. La distribution est plutôt vertueuse sur la mise en avant de l’origine France. Mais il est vrai que la transparence n’a pas toujours été au rendez-vous.

Il existe souvent une certaine opacité

Les tarifs acceptés n’ont pas souvent ruisselé vers les agriculteurs. Il existe souvent une certaine opacité. Ma vision est que le modèle coopératif est capable d’apporter cette transparence et la nécessaire revalorisation des filières agricoles pour maintenir, garantir et préserver un modèle vertueux, celui de la souveraineté du modèle agricole français.

LMH : C’est tout l’enjeu voulu par la refonte de la loi Egalim. Quel regard portez-vous sur la nouvelle version qui entre en application ?

C. B. : Il est clair que la première loi Egalim a été un échec puisqu’elle avait l’objectif de mieux rémunérer les éleveurs et de favoriser une alimentation plus saine et de qualité. Cela n’a clairement pas bougé depuis. Une nouvelle version vient d’être votée. L’avantage est qu’elle sanctuarise le coût des matières premières qui deviennent non négociables. Nous avons espoir que ces sujets sur le coût des matières premières seront mis de côté dans les négociations, afin d'évoquer tous les autres points liés au développement du commerce et de la transition écologique avec nos clients.

LMH : Dans quel état d’esprit abordez-vous les négociations commerciales 2022 ?

C. B. : Techniquement, nous sommes prêts. Il y a urgence sur la volaille avec l’inflation extrêmement violente des coûts de production depuis un an. On est sur une augmentation des coûts d’aliments entre 28 et 35 % sur la volaille, selon les indicateurs Itavi – indicateurs validés, conformes aux Egalim, utilisés et reconnus de tous : +30 % sur le poulet standard, +28 % sur le poulet label, +34 % sur le canard gras. Nous avons eu une revalorisation trop partielle l’année dernière, mais le contexte n’est désormais pas celui que l’on imaginait. Les tendances continuent d’être haussières. Les cours restent élevés, et on ne voit pas de ralentissement. La situation devient urgente. Derrière, ce sont les revenus des éleveurs qui ont déjà baissé. Nous avons déjà transmis nos demandes à nos clients et nous espérons signer des accords avant la fin de l’année.

LMH : Quelle revalorisation demandez-vous ?

C B. : On est sur un niveau de revalorisation pour l’année 2021 de 16 %, ce qui correspond à l’indice Itavi. Début 2021, un tiers a été accepté. Il nous reste donc deux tiers à faire passer, surtout dans une situation inédite comme celle-ci. C’est du jamais vu et cela va continuer sur le premier semestre 2022. On ne peut pas attendre, les répercussions économiques sont énormes alors que nous sortons tout juste d’une épizootie aviaire.

LMH : Quels sont les risques sans revalorisation ?

C. B. : Le risque majeur est la perte importante de revenus pour les agriculteurs, qui sont aujourd’hui déjà en recul de 8 % en raison de la hausse du gaz. Nous allons baisser les mises en place chez nos éleveurs de 10 %, ce qui va entraîner une baisse d’un quart du revenu des agriculteurs sur le premier trimestre 2022. C’est intenable, mais on ne peut pas continuer à transformer des produits à perte.

On ne peut pas continuer à transformer des produits à perte

LMH : Quel accueil la distribution vous réserve-t-elle pour le moment ?

C. B. : Tout le monde a conscience de l’inflation des coûts de production, ce sujet est général à la filière volaille. Les consommateurs veulent des volailles made in France. Or si les productions diminuent, la demande risque de ne pas être satisfaite.

LMH : Quels sont pour vous les plus grands défis des coopératives agricoles ?

C. B. : L’agriculture doit relever le défi de nourrir une population mondiale en augmentation alors que l’urbanisation se poursuit, que le nombre des exploitations diminue et que beaucoup d’agriculteurs partiront en retraite d’ici cinq à dix ans.

Cette exigence a un coût

Nous devons travailler l’attractivité de nos métiers, et le revenu est évidemment primordial. Et tout ça dans un contexte de changement climatique, qui nécessite de modifier les pratiques et d’opérer une transition agroécologique. Il y a de grandes prises de risque à prendre au moment même où nous avons aussi beaucoup d’aléas climatiques qui affectent les rendements. Les Français sont très exigeants sur le bien-être animal, sur la taille des exploitations à l’inverse d’autres pays, mais cette exigence a un coût. On sait que le prix est un frein. Mais en accélérant la transition des filières vers plus de durabilité, nous avons des solutions pour aller chercher de la valeur. Quand les produits correspondent à la demande, cela fonctionne.

LMH : Vous parlez peu de bio au sein de Maïsadour. Est-ce un enjeu pour l’avenir ?

C. B. : Le marché bio est en crise dans certaines filières comme le lait ou les œufs. La sortie du Covid est très difficile, avec une décroissance soudaine. Quand la production se développe sans le marché en face, c’est très dangereux. Aujourd’hui, le bio représente 2 à 3 % du total de nos productions. Nous ne sommes pas en flux poussé, mais à l’écoute des marchés. Nous avons des adhérents qui peuvent produire plus si le marché le demande, en poulets, semences, aliments, truites, saumons, céréales, oléagineux, légumes. Nous pouvons répondre aux besoins, mais nous restons prudents sur les conversions.

Nous ne sommes pas en flux poussé pour le bio

LMH : Le plan protéines est-il intéressant pour le groupe ?

C. B. : Oui, nous y participons, notre projet de soja français avec Vivadour va nous permettre de développer une production de volailles nourries avec des aliments français. Nous pourrons communiquer sur cette démarche auprès du consommateur. C’est très intéressant, nous allons diminuer notre empreinte carbone. On sait que dans l’élevage, c’est le soja importé qui a la plus grande empreinte et qui de plus est « déforestant ».

Nous n'allons pas nous battre sur des marchés de poulet standard

LMH : On parle beaucoup du manque de compétitivité à l’export des filières françaises. Qu’en pensez-vous ?

C. B. : Tout dépend des filières et secteurs. En semences ou en maïs spéciaux, nous sommes très bien placés. Mais sur la volaille, nous n'allons pas nous battre sur des marchés de poulet standard, des marchés de masse où nous avons en face des pays avec des exploitations beaucoup plus grandes que les nôtres. Cela ne sert à rien. Le sujet est d’avoir une compétitivité hors coût sur des filières de qualité avec des produits spécifiques. Alors oui, cela réduit les marchés, mais ils sont plus valorisés.

Parcours

Après vingt-deux ans passés du côté de la distribution auprès du groupement Les Mousquetaires-Intermarché, puis neuf ans en tant que directeur général d’Agromousquetaires, le bras armé industriel du groupement, période pendant laquelle il a notamment lancé un plan RSE baptisé « Producteurs responsables », conscient de la responsabilité de l’industrie agroalimentaire sur les pratiques agricoles, Christophe Bonno passe du côté de la coopération agricole. Il vient de prendre le poste, fin octobre, de directeur général du groupe Maïsadour, après le départ de Philippe Carré, en février 2021. De formation ingénieur agroalimentaire (Agrosup Dijon), il a commencé sa carrière chez Jean Caby, puis Madrange, avant d’intégrer la distribution. Il était depuis 2019 directeur des relations institutionnelles agricoles pour Les Mousquetaires, poste qui l’a amené à structurer la participation d’Intermarché aux travaux des interprofessions et à renforcer les actions de soutien du distributeur auprès des producteurs français fragilisés par l’épidémie de coronavirus. Au sein du groupe coopératif Maïsadour, il a pour mission de « construire et déployer une vision stratégique et pérenne », créatrice de valeur pour le groupe et ses adhérents.

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