Aller au contenu principal

Chronique
Covid-19 et contrats : entre imprévision et force majeure

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 qui a placé l’économie à l’arrêt ne manquera pas d’avoir de nombreuses conséquences au plan juridique. Retour sur la différence entre l’imprévision et la force majeure.

Didier Le Goff, avocat.
Didier Le Goff, avocat.

Notre ministre de l’Économie lui-même, engageant la parole de l’État, a déjà eu l’occasion de préciser qu’il considérait que la crise sanitaire en cours correspondait à un cas de force majeure, et qu’en conséquence, l’État n’exigerait pas de pénalités de retard de ses cocontractants privés.

Cet engagement n’a bien entendu aucun effet sur les relations de pur droit privé, mais il a quand même le mérite de positionner le problème à son juste niveau.

Dans les rapports de droit privé, et notamment entre professionnels ou commerçants, de nombreux contrats vont se trouver soit impossibles à exécuter, du moins dans les délais requis, soit brutalement économiquement non viables, ce qui n’est pas du tout le même problème.

Dans le premier cas, l’on songera, à l’instar des pouvoirs publics, à la notion de force majeure, alors que dans le second, c’est vers la notion d’imprévision que l’on se tournera.

Si ces deux mécanismes juridiques peuvent aboutir à un même résultat, à savoir la résolution du contrat, ils répondent l’un et l’autre à des finalités nettement différentes, de telle manière qu’il importe de les différencier.

La cour d’appel de Colmar se prononce

La notion de force majeure est très ancienne dans notre droit.

D’après la rédaction de l’article 1218 du Code civil issue de l’ordonnance du 10 février 2016, il s’agit d’un évènement échappant au contrôle du débiteur (1re condition), qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (2e condition), dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (3e condition), et qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur (4e condition).

Ces quatre conditions sont cumulatives.

Il faut donc que le débiteur ait fait tout son possible pour exécuter son obligation malgré la difficulté pour pouvoir invoquer la force majeure, qui jouera alors comme une cause légitime d’inexécution.

Dans une affaire qui ne relève pas du tout du droit des contrats, la cour d’appel de Colmar a, le 12 mars 2020, considéré que l’absence à son audience d’appel de placement en rétention administrative de l’appelant lui-même, en raison des contraintes imposées par le coronavirus qui étaient à la fois extérieures, imprévisibles et irrésistibles, correspondait à un cas de force majeure.

La cour d’appel a pris soin de vérifier que la présence de l’appelant par visioconférence n’était pas envisageable non plus.

Nous attendons bien sûr une décision propre au droit des contrats pour valider la solution.

Quant aux effets, si l’empêchement est temporaire, l’exécution du contrat n’est que suspendue, sauf le cas où elle devait avoir lieu à un moment précis avant la fin de la période de suspension. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit, ce qui libère les parties de leurs obligations.

Ajoutons qu’entre professionnels, il est courant d’aménager la force majeure par une clause qui peut en définir le régime comme la portée. Il faut donc être particulièrement attentif à ces clauses contractuelles.

L’imprévision sous le contrôle du juge

De son côté, l’imprévision ne se situe pas sur le terrain de l’exécution du contrat, mais sur celui de sa force obligatoire.

Ce n’est qu’en 2016 que cette notion est entrée dans le Code civil.

Elle suppose qu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat en rende l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

Une renégociation du contrat est alors possible, qui, si elle n’aboutit pas amiablement pourra donner lieu à une saisine du juge, ce qui est une grande nouveauté de la loi de 2016.

En effet, ce juge pourra réviser le contrat ou y mettre fin, aux date et conditions qu’il fixe.

En fonction des circonstances, cet outil peut être redoutablement efficace pour corriger le déséquilibre subi d’un contrat pour des raisons qui ne pouvaient pas être prévues lors de sa souscription.

Avec l’imprévision, la question n’est pas de savoir si l’exécution est possible ou pas possible, mais de savoir si elle est rentable ou pas.

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire, parfums, fleurs et leurs produits dérivés : www.leschampsdudroit.fr.

24 bis, rue Greuze, 75116 Paris - www.dlegoff-avocat.fr

Les plus lus

Vaches dans la prairie
Comment vont évoluer les coûts de production de la viande bovine en 2024 ?

Si les prix des gros bovins restent élevés, ils ne sont pourtant toujours pas rémunérateurs pour les éleveurs. Les coûts de…

Cotation du porc en  Allemagne, Production, classe E en €/kg
Porc : un marché en manque d’impulsion à la veille de Pâques 

Le marché du porc européen manque de tonicité à l’approche de Pâques.  

en arrière plan, une étable avec des vaches noir et blanche. Au premier plan, un chercheur en combinaison intégrale avec un masque de protection.
Grippe aviaire : ce qu’il faut savoir de la contamination humaine par des vaches

La situation sanitaire autour de la grippe aviaire inquiète aux États-Unis. Des vaches malades ont à leur tour contaminé un…

bouverie en abattoir
Vidéo L214 chez Bigard : le ministère remet le contrôle vidéo en abattoir sur la table

L214 a diffusé une enquête filmée dans l’abattoir Bigard de Venarey-les-Laumes (Côte d’Or), lors d’abattages halal. Le…

vue de haut, une carte de France dessinée avec du blé, du beurre, des oeufs, de la viande, du fromage, des pommes, des tomates, du soja, du saumon
Souveraineté alimentaire : quelles sont les fragilités françaises ?

Un rapport du gouvernement évalue la souveraineté alimentaire de la France et dévoile des zones de fragilité préoccupantes.…

infographie objectifs de la loi Egalim
Que mangent les enfants à la cantine, et qu’en pensent-ils ?

Les menus servis dans les cantines scolaires ne sont pas, en moyenne, conformes aux objectifs de la loi Egalim selon un…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 704€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Les Marchés
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez vos publications numériques Les Marchés hebdo, le quotidien Les Marchés, Laiteries Mag’ et Viande Mag’
Recevez toutes les informations du Bio avec la newsletter Les Marchés Bio