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Industrie
Catherine Chapalain (Ania) : « L’industrie agroalimentaire subit un double décrochage de compétitivité »

La directrice générale de l’Ania a accepté de revenir, dans une interview accordée aux Marchés, sur les raisons d’une « inflation raisonnée » demandée par ses adhérents. Elle évoque aussi les difficultés que soulève la loi Besson-Moreau.

Catherine Chapalain, directrice générale de l'Ania. © Ania
Catherine Chapalain, directrice générale de l'Ania.
© Ania

Les Marchés Hebdo : Face à la flambée des prix des matières premières agricoles et des emballages, quelle est la situation économique des industries agroalimentaires ?

Catherine Chapalain : Il est important de rappeler le contexte. L’industrie agroalimentaire est la première industrie du pays avec près de 500 000 emplois directs. Elle a la particularité d’avoir un lien très fort avec l’amont agricole. Plus de 70 % de la production agricole est transformée par les industries agroalimentaires françaises. Elles sont des acteurs majeurs de la souveraineté alimentaire. Les produits alimentaires consommés en France sont à 80 % transformés par nos entreprises. L’industrie agroalimentaire est un fleuron industriel. Néanmoins, sa situation économique est très difficile. Elle subit un double décrochage : le premier, par rapport aux autres secteurs manufacturiers, avec une baisse de 40 % de son taux de marge sur les quatorze dernières années ; le second, par rapport à ses concurrents européens, sa valeur ajoutée a reculé de 14,5 %, alors que celle de la zone européenne a augmenté de 13,70 %. L’industrie vit dans une période de déflation depuis huit années consécutives (6,2 % entre 2013 et 2020), tandis que l’inflation générale en France est de 6 %. À ces difficultés structurelles, s’ajoutent en effet des difficultés conjoncturelles avec la flambée des prix des matières premières agricoles et des coûts de production.

LMH : Vos adhérents vous ont remonté, en moyenne, un besoin de revalorisation tarifaire de 9 %. Pensez-vous être entendus par les distributeurs ?

C. C. : C’est une valeur moyenne, qui ressort d’un sondage réalisé auprès de nos adhérents. Ils nous ont remonté un besoin de revalorisation en moyenne de 9 %. Les situations restent hétérogènes d’une entreprise à l’autre et chaque entreprise reste bien évidemment libre de sa politique commerciale et tarifaire (cela ne veut pas dire que les entreprises vont demander une hausse de 9 % aux distributeurs).

Nous espérons être entendus des distributeurs

Par ailleurs, j’entends que cela augmenterait les prix de 9 %. Non, ce n’est pas le cas. Il faut distinguer le besoin tarifaire du prix consommateur. Nous espérons en effet être entendus des distributeurs. Le ministre (Julien Denormandie, NDLR) a rappelé lors du comité de suivi des relations commerciales (du 8 juin 2021, NDLR) le mouvement de solidarité qui a eu lieu durant le début de la crise en 2020. Il a constaté qu’il y avait de nouveau besoin de cette solidarité dans le contexte actuel. Il a rappelé l’épisode de gel qui a affecté l’amont comme l’aval, et les hausses de prix constatées sur l’alimentation animale et les emballages. Il a appelé tous les acteurs à faire preuve de responsabilité.

LMH : Quelle pourrait avoir comme conséquence cette inflation sur la consommation ?

C. C. : On appelle de nos vœux à une inflation raisonnable. Ce que nous proposons représenterait une hausse de 2 euros par ménage par mois, si on se cale sur l’inflation générale constatée en France.

LMH : Sans cette revalorisation, quels sont les risques économiques pour les IAA ?

C. C. : Les industries agroalimentaires ont fait preuve de résilience pendant la crise sanitaire. Mais il y a un vrai décrochage de compétitivité par rapport à d’autres secteurs industriels français et par rapport à nos voisins européens. La survie de certaines entreprises est en jeu. Nous sommes pris en étau. Aucun autre secteur économique n’est dans la même situation. Les industries de l’agroalimentaire doivent passer par quatre grandes centrales pour pouvoir passer une hausse tarifaire, et le rapport de force est très déséquilibré.

LMH : Le projet de loi Besson-Moreau arrive en séance publique à l’Assemblée nationale le 24 juin. Quels ajustements demandez-vous ?

C. C. : Nous sommes favorables à la loi Egalim 2. La loi Egalim en cours n’a pas atteint son objectif de remettre de la valeur dans les filières, et notamment pour les producteurs. Nous sommes favorables à l’amélioration de la rémunération des producteurs, mais nous avons quelques interrogations sur ce projet de loi. Et principalement sur l’article 2 qui veut « accroître la transparence du coût d’achat de la matière première agricole par l’industriel et en consacre le caractère non négociable ». Il est aussi écrit que « les matières premières agricoles utilisées et leur prix d’achat devront figurer dans les CGV ». Il y a un effet totalement pervers, et cela atteint le secret des affaires. Les distributeurs pourront faire pression dans les négociations, en connaissant les détails d’achat de la matière première agricole. C’est très négatif pour les industries agroalimentaires, mais aussi pour l’agriculture.

Il y a un effet totalement pervers à l’article 2 de la loi Besson-Moreau

Nous proposons une rédaction alternative en gardant la philosophie du texte sur la marche en avant du prix, avec une double construction : la prise en compte du tarif du fournisseur et la mise en place d’un tiers de confiance qui vérifie le prix payé à l’amont agricole. C’est déjà en place dans certains secteurs comme le lait et les huiles ; le lait, depuis deux ans, et les huiles, cette année. Un commissaire aux comptes atteste de la juste rémunération payée aux producteurs et du besoin tarifaire consenti à l’industriel par le distributeur. Nous proposons de reprendre ce mécanisme qui répond au besoin de transparence et de rémunération du monde agricole.

LMH : Avez-vous formulé d’autres propositions ?

C. C. : Oui, nous souhaitons que les marques de distributeurs soient intégrées au dispositif, car elles sont toujours le trou dans la raquette. Or, elles représentent un peu plus de 30 % de la consommation en France. On demande également que les pénalités logistiques soient plus encadrées qu’elles ne le sont aujourd’hui.

LMH : Craignez-vous la prise en compte des coûts de production dans les contrats ?

C. C. : Nous sommes favorables aux indicateurs des coûts de production publiés par les interprofessions, et il semble y avoir un consensus dans ce sens. En revanche, nous sommes contre l’indexation du prix sur ces indicateurs. Ce n’est d’ailleurs pas possible d’un point de vue juridique.

Nous sommes contre l’indexation du prix sur ces indicateurs

LMH : Les investissements des industries agroalimentaires ont reculé de 5 % en 2020. Le plan de relance n’est-il pas efficace ?

C. C. : Le plan de relance est évidemment une très bonne chose. Les industries agroalimentaires ont d’ailleurs déposé de nombreux dossiers, c’est un bon signal sur leur volonté d’investir et d’innover. Elles croient à leur croissance. Néanmoins, il y a très peu d’élus par rapport au nombre d’entreprises. Mais si on mettait fin à la déflation, elles auraient les marges suffisantes pour investir.

LMH : Quelle est votre position concernant l’expérimentation de l’affichage environnemental ?

C. C. : La loi Agec prévoit en effet cette expérimentation. Et l’Ania y participe. C’est une très bonne chose pour répondre aux attentes des consommateurs. Maintenant, c’est très complexe à mettre en place, pour avoir une information la plus pertinente, la plus fiable possible. L’expérimentation est en cours. Dans la loi Climat, on ne peut pas la rendre obligatoire, mais l’expérimentation permettra d’avoir un temps d’avance quand le sujet sera mis sur la table au niveau européen, pour avoir une information harmonisée. Cela a été le cas pour le Nutri-Score. Il y a d’abord eu une expérimentation, puis désormais il y a des démarches volontaires.

LMH : Les sénateurs ont modifié le texte de la loi Climat & Résilience en commission pour rendre obligatoire l’affichage.

C. C. : Nous leur disons que ce n’est pas possible. Nous sommes déjà sous le règlement Inco, le Nutri-Score n’est pas obligatoire. Cela sera la même chose pour l’affichage environnemental, mais cela va dans le sens de l’état d’esprit de la Commission européenne avec le Green Deal ou Farm to Fork.

Des taux de marge en baisse régulière

Dans sa note de conjoncture du 8 juin 2021, l’Ania évoque un besoin de revalorisation des tarifs industriels de 9 % en moyenne. Elle évoque, d’une part, l’indice FAO des prix des produits alimentaires qui a atteint un niveau jamais vu depuis plus de 10 ans (+31 % en moyenne sur un an) et, d’autre part, la flambée des prix des matières premières industrielles (métaux, plastiques, emballages…) pour justifier cette demande de revalorisation. Interrogées par l’association au printemps, les 200 entreprises qui ont répondu remontent une hausse globale de 22 % du prix des matières premières qu’elles transforment et une progression de 14 % s’agissant des matières premières industrielles. L’association insiste sur le fait que le taux de marge des entreprises alimentaires a atteint son plus bas niveau historique en 2021.

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