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Comment les industriels de l’agroalimentaire compensent le manque d’huile de tournesol ?

Face au manque de disponibilités en huile de tournesol et à son prix qui a décollé, les industriels agroalimentaires, dans le flou total, se tournent majoritairement vers l’huile de colza et de palme.

La guerre en Ukraine perturbe de nombreux domaines agricoles, mais chamboule particulièrement le secteur oléagineux à l’échelle mondiale, avec une pénurie générale d’huile de tournesol. L’Europe en fait particulièrement les frais, étant son principal utilisateur. Tous les stocks d’huile sont bloqués dans le port de Marioupol, ville anéantie par le conflit, condamnant les conteneurs qui ne sont pas détruits à pourrir.

Certains trains continuent de partir d’Ukraine, mais un wagon ne peut transporter que 60 tonnes d’huile, contre 60 000 tonnes potentielles pour un bateau. « L’espacement des rails est, par ailleurs, différent entre l’Ukraine et l’Union européenne, entraînant une obligation de transfert à la frontière », précise Éric Borie, responsable d’affaires de Vandemoortele. Cette voie ferroviaire, complexe, ne réussit qu’à couvrir 1 à 2 % des besoins européens en huile de tournesol, obligeant les industriels à se tourner vers d’autres huiles. La situation oblige de nombreux acteurs à trouver des solutions parfois radicales, comme Metro qui rationne la vente d’huile de tournesol à 50 litres par personne et par jour.

La France peut fournir l’huile de colza

Même si le groupe Avril a augmenté ses capacités de production de tournesol de 30 % d’ici à 2023, la chute de l’offre ne pourra jamais compenser la consommation française. Les prix ayant bondi, multipliés par deux ou trois, les acteurs de l’agroalimentaire français et européens cherchent des alternatives. « 90 % de nos adhérents se sont tournés vers l’huile de colza, dont la qualité est équivalente à l’huile de tournesol », souligne Jérôme Foucault, président de l’Association des entreprises de produits alimentaires et élaborés (Adepale). « La France est productrice d’huile de colza et a la capacité de fournir ses industries agroalimentaires », ajoute-t-il.

De nombreuses sociétés modifient leurs recettes, beaucoup mélangeant les huiles de colza et de tournesol, notamment pour les vinaigrettes et les fritures. « Si les fabricants s’y retrouvent au niveau des coûts de production et que ça ne change pas le goût du produit fini, il est fort possible qu’ils ne fassent pas machine arrière », parie Jérôme Foucault. Les industries agroalimentaires doivent garder néanmoins l’idée que le gel printanier de ces dernières semaines a touché les cultures de colza, rendant les prévisions assez floues sur les futurs volumes de production pour 2022.

L’huile de palme reste la moins chère du marché

De nombreux acteurs, notamment ceux de la boulangerie-pâtisserie, se tournent aussi vers l’huile végétale, la plus consommée dans le monde et la moins chère du marché : l’huile de palme. « Certains industriels qui avaient banni l’huile de palme de leurs process font machine arrière, révèle Éric Borie. Les fabricants de chips cuisaient leurs produits à l’huile de tournesol sous la pression des consommateurs qui voulaient moins d’huile de palme. » Les marques et sociétés engagées dans une démarche sans huile de palme se trouvent pieds et mains liés face à l’absence d’huile de tournesol sur le marché.

La soudaine hausse de demande pour l’huile de palme a entraîné une inflation inédite, amenant l’Indonésie à arrêter ses exportations d’huiles végétales fin avril, avant de les reprendre le 23 mai 2022. « Ces décisions sont à l’origine de soubresauts sur les marchés des huiles. Il y a peu de visibilité avec, par moments, des vents de panique des acheteurs », analyse Éric Borie.

Huile de soja ou graisse animale comme alternative

« Il y a la possibilité d’utiliser de l’huile de coco ou de l’huile de coprah dans les mélanges pour réduire l’utilisation de l’huile de tournesol. À voir comment ce changement s’intègre dans le process industriel », suggère Jérôme Foucault. Ces huiles sont néanmoins près de deux fois plus chères que l’huile de palme aujourd’hui, mais restent en dessous du cours de l’huile de tournesol. L’huile de soja peut représenter une belle alternative à l’huile de tournesol, mais est peu utilisée en Europe. Peu de soja étant cultivé sur le Vieux Continent, l’huile devrait être importée d’Amérique latine, mais serait surtout issue d’OGM.

La qualité de l’huile de colza est équivalente à celle de l’huile de tournesol,
Jérôme Foucault, président de l’Adepale

Pour réduire leur dépendance à l’huile de tournesol pour la cuisson des frites, les restaurateurs peuvent aussi avoir recours à la graisse animale. « La graisse de bœuf supporte très bien la friture », assure Éric Borie. La graisse de canard est également une bonne alternative, mais sa disponibilité est affectée par les dernières vagues d’influenza aviaire.

Des dérogations en attendant de nouvelles étiquettes

Du côté de Vandemoortele, les recettes ont été retravaillées pour se passer d’huile de tournesol en la remplaçant dans la plupart des cas par « des mélanges d’huile de colza et de palme », indique Erwan Dubois, responsable commercial France du groupe. La modification de la recette entraîne un changement du GL code des produits alimentaires fabriqués. « Les GMS ont besoin d’enregistrer ce nouveau code, tandis que les industriels doivent éditer de nouvelles étiquettes. Tout cela est complexe et d’une perte de temps… », regrette Jérôme Foucault.

La DGCCRF a ainsi mis en place Dérog Conso, une plateforme en ligne afin que les professionnels y demandent une modification temporaire de recettes et une dérogation d’étiquetage. Celles-ci sont accordées si elles ne mettent pas en danger la sécurité des consommateurs, si les difficultés d’approvisionnement en matières premières sont avérées, si des conditions minimales d’information des consommateurs, proportionnées aux changements de recette sont respectées et, enfin, pour une durée limitée dans le temps (6 mois au maximum).

« On regrette que la durée ne soit pas plus longue. Avec toutes ces nouvelles demandes, les délais d’étiquetage sont élevés, d’autant plus que nous attendons que la situation en Ukraine se stabilise afin de déterminer quelle étiquette éditer, et ainsi ne pas en imprimer des milliers pour rien », assure Jérôme Foucault. Début juin, Dérog Cons comptait près de 3 000 enregistrements de dérogation. On y retrouve notamment des produits des marques Maître Coq, Cité Marine, Saint Jean ou encore de très nombreuses MDD.

en chiffres

La France importe 130 000 tonnes d’huile de tournesol chaque année.

Parmi ces volumes, 2/3 viennent d’Ukraine.

La GMS sourde face aux inflations

Si le prix de l’huile de tournesol a décollé depuis la guerre en Ukraine, le repli des industriels vers d’autres huiles a aussi entraîné une inflation sur les cours de ces dernières. « Avant la guerre en Ukraine, ça faisait déjà près de 3 ans que le prix des huiles augmentait continuellement », commente Éric Borie, responsable d’affaires de Vandemoortele. Cette hausse générale des prix combinée à l’inflation généralisée des autres matières premières peine cependant à être répercutée auprès de la grande distribution ou bien des restaurateurs. « En France, c’est très difficile de faire passer des hausses. Mais aujourd’hui, on arrive à un moment critique pour les industries », alerte Éric Borie. « Ils sont dans le désarroi total et sont en train de cramer toute leur trésorerie », renchérit Jérôme Foucault, président de l’Adepale. « La discussion ne s’ouvre qu’avec des menaces d’arrêts de livraison, regrette Erwan Dubois, responsable commercial France de Vandemoortele. L'une des enseignes majeures de la GMS n’a plus de margarine MDD, car nous avons arrêté de leur en livrer. Ils reviennent vers nous pour négocier les prix, mais ils ont encore augmenté entre-temps. Le pouvoir d’achat des consommateurs aurait été finalement mieux défendu s’ils avaient accepté les premières hausses. »

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