Aller au contenu principal

Chronique
Un amendement à point contre le steak de soja

La commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale vient d’adopter un amendement visant à protéger les dénominations des produits carnés. S’il était précisé et adopté, il pourrait mettre fin à l’actuel vide juridique sur le sujet.

Samuel Crevel avocat associé au cabinet Racine.
© DR

Qui n’a pas remarqué dernièrement l’apparition, dans les rayonnages des grandes surfaces voire sur les étals des « boucheries vertes », de « steak de tofu », d’« escalopes vegan », de préparations cuisinées « façon poulet » et autres « saucisses de soja » ? Venues d’Allemagne et de Belgique, ces appellations en forme d’oxymore (on songe à la « viande de légume » !) sont destinées à inciter les flexitariens, qui ne quittent le régime « tout carné » que du bout des dents, à manger davantage de légumes sous la forme de produits leur évoquant inconsciemment l’univers de la viande.

Cette nouvelle tendance du marketing alimentaire est beaucoup moins anodine qu’il n’y paraît. Alors que, d’une façon générale, la présentation des produits alimentaires fait – légitimement – l’objet d’une réglementation extrêmement stricte, il est à constater que de tels produits, mi-chèvre mi-chou, ont évolué jusqu’à présent dans une sorte de vide juridique.

La viande moins bien protégée que le lait en Europe

Le droit européen ne procure guère à la viande et aux produits carnés une protection analogue à celle dont bénéficient le lait et ses produits dérivés. Si la cour de justice de l’Union européenne a dernièrement condamné la vente de produits sous la dénomination « lait de tofu » (CJUE, 14 juin 2017, C-422-16), elle a pu asseoir sa décision sur des dispositions du règlement OCM réservant la dénomination « lait » au produit « de la sécrétion mammaire normale » et celle de « produits laitiers » aux produits « dérivés exclusivement du lait » (règl. OCM, ann. VII, partie III), sans équivalent pour la viande.

Quant à la réglementation française, il n’existe actuellement que quelques règles éparses de valeur réglementaire voire infraréglementaire, plutôt tournées vers les « dénominations usuelles des morceaux de viande » et en tout cas impropres à fonder un contrôle efficace. Et ce silence de la loi commence à préoccuper non seulement les opérateurs de la filière viande, qui y voient non sans raison une forme de parasitisme, mais aussi ceux qui se préoccupent d’éviter aux consommateurs d’être abusés sur la nature – lard ou quinoa ? – des produits qu’ils achètent. Surtout lorsque, comme trop souvent, les produits dont on parle sont vendus parmi et sous la même forme que les produits carnés.

Vers un dispositif efficace ?

Il faut rendre au législateur actuel cet hommage d’avoir pris conscience de la nécessité de mettre fin à cette regrettable imprécision terminologique dans l’intérêt commun des « légumards » et des « viandards ».

Saisie récemment par le gouvernement du projet de loi pour « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agroalimentaire et une alimentation saine et durable », traduction législative des états généraux de l’alimentation qui se sont déroulés à la fin de l’année passée, la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale a amendé ce texte pour l’ajout au Code rural et de la pêche maritime d’un article L. 654-23 (I.) du Code rural et de la pêche maritime ainsi rédigé : « Les dénominations associées aux produits d’origine animale ne peuvent pas être utilisées pour commercialiser des produits alimentaires contenant une part significative de matières d’origine végétale ».

L’étendue de cette prohibition, qui serait assortie de sanctions pénales, dépendra en réalité largement de l’arrêté du ministre chargé de l’Agriculture qui, annoncé par la loi, devra fixer la liste desdites « dénominations » dignes d’être protégées.

On ne peut qu’espérer que ce dispositif survivra au vote (accéléré) de la loi et qu’il sera suffisamment étendu et précis pour être efficace ; ce n’est qu’en prenant le tofu par les cornes que les moutons seront bien gardés.

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de la Revue de droit rural depuis 2006.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75008 Paris - www.racine.eu

Les plus lus

vaches laitières dans une prairie
Vaches laitières : après un an de flambée, les prix vont-ils vraiment baisser ?

Les prix des vaches laitières ont commencé leur escalade il y a un an. Si un mouvement de baisse automnale se fait sentir, les…

Poulets JA787 aux Pays-Bas. © Hubbard
Poulet standard : y-a-t-il une vraie bascule vers le poulet ECC ?

Alors que le poulet standard est le moteur de la croissance de la production en France, LDC et Galliance ont annoncé s’engager…

Poule de réforme en élevage sol
Poules de réforme : comment les abattoirs s’adaptent à la baisse de l’offre ?

Les abattages de poules pondeuses de réformes reculent depuis 2021. Entre grippe aviaire, allongement des durées de pontes et…

drapeau turc
Bovins : la Turquie continue sa décapitalisation, l’Europe en profite peu

Alors que les abattages de bovins continuent de progresser en Turquie faute de rentabilité de l’élevage allaitant et laitier,…

Gilles Huttepain, Vice-président de l'interprofession Anvol
Le poulet chinois s’impose en Europe, la volaille française alerte

La filière poulet française s’inquiète d’un afflux inédit en provenance de Chine, qui dégage ses surplus de filets de poulet…

bateau porte conteneur a quai
Bovins : des exportations en baisse de 13 %, des importations en hausse de 6 % au niveau européen

Le solde du commerce extérieur de la filière bovine européenne s’est fortement dégradé au premier semestre 2025, alors que l’…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Les Marchés
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez vos publications numériques Les Marchés hebdo, le quotidien Les Marchés, Laiteries Mag’ et Viande Mag’
Recevez toutes les informations du Bio avec la newsletter Les Marchés Bio