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Chronique
Quand la modification de contrat s’apparente une rupture brutale

Alors que le droit des pratiques restrictives a été partiellement remanié par l’ordonnance du 24 avril 2019, la jurisprudence continue d’apporter ses éclairages sur la notion de rupture brutale. Décryptage d’un récent arrêt de la Cour de cassation.

Didier Le Goff, avocat. © DR
Didier Le Goff, avocat.
© DR

La rupture brutale peut être totale ou partielle, et elle est précisément qualifiée de brutale lorsqu’elle n’a pas donné lieu à la notification d’un préavis écrit d’une durée proportionnelle à celle de la relation à laquelle il est mis fin. Il s’ensuit donc qu’un préavis insuffisant, bien que notifié par écrit, peut conduire à retenir la brutalité de la rupture.

Rappelons que sur ce dernier point, l’ordonnance du 24 avril 2019 apporte une modification importante, puisque depuis lors, l’auteur de la rupture qui a accordé un préavis d’au moins dix-huit mois ne peut plus voir sa responsabilité engagée pour insuffisance de préavis, alors que cette seule question représentait une grande partie du contentieux.

Contentieux entre Business France et Wine 4 Trade

Au-delà de cette question, par un arrêt du 20 novembre 2019 qui ne sera pas publié, la Cour de cassation s’attache à préciser les contours de la rupture partielle, à travers une espèce singulière.

L’Établissement public industriel et commercial (Epic) Business France a pour objet d’accompagner le commerce extérieur français dans le domaine de l’agroalimentaire, en permettant aux entreprises accompagnées de bénéficier du label « France », et en finançant des projets d’exportation par une dotation budgétaire de l’État. À partir de 2006, l’Epic a noué une relation commerciale avec la société Wine 4 Trade qui accompagne à l’exportation des viticulteurs français, notamment par une participation dans des salons. En 2010, l’Epic a mis en place un programme qui lui permettait de modifier le mode de financement des salons organisés, afin de limiter les dépenses publiques. Seize salons ont néanmoins été organisés, sans support écrit.

Mais en 2012, l’Epic informait son partenaire, qui avait déjà réservé l’emplacement, que le salon de Londres, prévu en 2013, ne se tiendrait pas, mais qu’il prendrait une part plus importante dans l’organisation de celui de Cologne, et invitait son partenaire à signer pour les autres évènements, une convention annuelle reconductible en juin.

Le partenaire signait une convention pour deux évènements qui seront annulés d’un commun accord, puis formulait divers griefs à l’encontre de l’Epic, dont seuls ceux relatifs au droit de la rupture brutale retiendront notre attention.

La modification substantielle doit être négociable

Bien entendu, l’Epic a tenté de voir jugé qu’en tant qu’établissement public, il n’était pas entré dans une relation commerciale établie. Or, pour la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, une relation commerciale qui a commencé en 2006, et s’est poursuivie de manière stable et pérenne jusqu’en 2012 où un nouveau contrat a imposé une clause de précarité, présentait un caractère établi.

Elle observe également que le fait qu’il s’agisse de fonds publics ne peut justifier qu’une relation qui était pérenne jusqu’alors, se précarise. Ensuite, la cour d’appel avait retenu la brutalité de la rupture au seul constat de ce que seize salons avaient été organisés depuis 2010 et jusqu’au courriel de 2012 dénonçant la participation au salon de Londres alors que l’emplacement était réservé.

Pour la Cour de cassation, c’est insuffisant, car il fallait rechercher si la modification était substantielle pour pouvoir parler de rupture. Et enfin, le fait que la relation passe de pérenne à précaire ne suffit pas non plus : il faut voir si la modification substantielle du contrat était négociable. En cas de relation établie, une modification substantielle du contrat imposée à l’autre partie sans négociation possible équivaut à une rupture brutale qui sera au moins partielle.

Il s’agit donc d’une décision qui positionne la négociabilité des conventions commerciales sur le terrain de la rupture brutale qui, bien qu’il y ait des précédents – ce qui explique probablement pourquoi l’arrêt n’a pas vocation à être publié – n’est pas celui auquel on songe naturellement, tant la place occupée par le déséquilibre significatif est grande aujourd’hui en la matière.

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire, parfums, fleurs et leurs produits dérivés : www.leschampsdudroit.fr.

24 bis, rue Greuze, 75116 Paris - www.dlegoff-avocat.fr

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