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Chronique
Négociations tendues : le cadre juridique est-il en cause ?

Les négociations commerciales 2021 sont à nouveau très tendues. La loi Egalim, dont le respect se trouve aujourd’hui désigné comme la solution du problème, n’a pour l’heure guère fait ses preuves. Décryptage.

Olivier-Henri Delattre, avocat au cabinet Racine. © Racine
Olivier-Henri Delattre, avocat au cabinet Racine.
© Racine

Les négociations commerciales annuelles entre fournisseurs et distributeurs en cours doivent être conclues d’ici au 1er mars, c’est-à-dire déboucher, selon le Code de commerce, sur la conclusion d’une convention qui « mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation ». Mais les négociations sont à la peine. La proportion des conventions conclues reste faible à ce jour et les signes de crispation se multiplient, au point que le gouvernement s’en inquiète et tempête, à l’occasion d’un récent communiqué, qu’« il en va de notre souveraineté alimentaire ».

Le cadre juridique de ces négociations est-il en cause ? Il a pourtant toujours préoccupé le législateur, qui s’est ingénié à le parfaire au fil des réformes. La dernière, celle de la loi Egalim du 30 octobre 2018 qui a notamment procédé à la refonte du régime des conventions qui formalisent les relations commerciales, a modifié le mécanisme de formation du prix et a instauré l’obligation de prendre en compte, pour la détermination du prix des produits agricoles et des produits alimentaires qui en comportent, les désormais célèbres « indicateurs ». À savoir, ceux qui devaient permettre le « ruissellement » de la valeur tout au long de la chaîne contractuelle.

C’est au respect de ce cadre juridique qu’appelle aujourd’hui le gouvernement lorsqu’il exhorte les négociateurs à retrouver « le consensus obtenu à l’issue des états généraux de l’alimentation et transcrit dans la loi Egalim ».

Un impact économique discuté

La loi Egalim, dont le respect se trouve aujourd’hui désigné comme la solution du problème, n’a pourtant guère fait ses preuves. Outre la complexité de certaines de ses dispositions, son impact économique reste discuté. De récentes études tendent à montrer, en particulier, qu’à l’exception de la filière laitière, ses deux premières années d’application n’ont pas vu disparaître la déflation dans les négociations commerciales entre les fournisseurs et les principales centrales d’achat des distributeurs. L’objectif de « juste répartition de la valeur dans tous les maillons de la chaîne alimentaire aux fins d’assurer la pérennité de l’agriculture et des entreprises qui en dépendent » tarde, au moins, à être atteint. Les difficiles négociations actuelles en fournissent une illustration supplémentaire.

Il faut concéder que la période est particulière. Des transitions alimentaires et environnementales sont en marche dans un contexte de crise sanitaire inédit, marqué par l’augmentation des coûts dans nombre de filières du fait de l’augmentation du prix des matières premières et/ou de conditions climatiques inhabituelles. La grande distribution serait, dit-on, peu disposée à prendre toute la mesure de ce contexte dans la négociation.

Une structure de marché toujours asymétrique

Plus fondamentalement, force est de constater – et cela n’est guère surprenant en réalité – que le droit n’a pas réussi à modifier la réalité économique : celle d’une structure de marché asymétrique entre l’amont, très dispersé, et l’aval, très concentré. C’est à cause de cette structure asymétrique, mécaniquement favorable à la grande distribution dans la négociation, que la valeur peine à remonter la chaîne de production.

Les pouvoirs publics se raccrochent néanmoins à la loi pour tenter de débloquer les négociations en annonçant le 30 janvier leur intention « d’intensifier les contrôles de la loi Egalim déjà menés par les services de la DGCCRF » et de « lancer une adresse de signalement de prix constatés en magasin qui paraissent trop bas par rapport aux coûts de production ainsi que des problèmes d’étiquetage ». Ils précisent que « la conformité à la loi de ces pratiques sera vérifiée ». L’étape suivante pourrait être un recours au « name and shame ».

Ce renforcement de l’application de la loi pourra permettre la conclusion d’accords ponctuels, de mauvaise grâce le cas échéant, jusqu’au prochain round de négociation. Il ne supprimera toutefois pas l’origine du problème.

Le cabinet Racine

Le cabinet Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Olivier-Henri Delattre, avocat au cabinet Racine à Paris, est spécialisé en droit de l’agroalimentaire, conseil et contentieux judiciaire, administratif et arbitral.

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