«Les interprofessions risquent d'exploser si on leur fait tout faire»
LM : Le projet de loi d'orientation agricole envisage de renforcer le rôle des interprofessions agricoles, notamment dans le domaine de l'organisation des marchés. Il est question de leur ouvrir la possibilité de définir des «contrats-types» entre producteurs et négociants sur, par exemple, la qualité des marchandises, les délais de livraison et les conditions dans lesquelles sera fixé le prix d'achat... Y êtes-vous favorables ?
Denis Sibille : Ce que je rappelle toujours, c'est qu'une interprofession est la réunion volontaire de familles professionnelles autour d'un produit pour décider ensemble de quelques grandes orientations, parmi lesquelles figure la communication sur le produit. Ces délibérations et ces décisions ne peuvent donc se prendre sous la contrainte de la loi ou le pistolet sur la tempe. Interbev est sans doute une des interprofessions les plus abouties et les plus expérimentées. Elle compte aujourd'hui 13 familles professionnelles, depuis l'arrivée de la restauration autogérée. D'expérience, on sait que lorsque l'on commence à entrer la question des prix dans les discussions, les familles professionnelles se cabrent et se déchirent. A vouloir donner trop de responsabilités aux interprofessions dans des domaines qui ne sont pas de son ressort, on risque de les faire exploser. On voit ce qui passe dans d'autres secteurs.
LM : Les professionnels ne peuvent donc pas s'entendre pour mieux gérer les filières ?
Denis Sibille : Si, bien sûr. Les comités économiques de filière existent et doivent être encouragés. Mais cela se joue au niveau local ou régional, entre des éleveurs, des groupements, des abatteurs voire des distributeurs pour mettre à plat des questions de régularité d'approvisionnement, de qualité des produits, etc. Ce genre d'expériences existe : les filières qualité Carrefour par exemple ou les consultations permanentes qui ont lieu entre Coop Italia et ses fournisseurs français pour leur garantir du broutard «non OGM». Mais encore une fois, cela se joue librement, au niveau local ou régional et en périphérie de l'interprofession. Je pense que notre message commence à passer. Des amendements ont ou seront déposés sur ce sujet par des députés afin d'infléchir le texte dans un sens plus réaliste.
LM : Les services publics de l'agriculture manifestent une certaine inquiétude depuis la présentation du budget 2006. N'avez-vous pas le sentiment que l'on demandera à l'avenir aux interprofessions d'effectuer des missions qui relevaient jusque-là des Offices ?
Denis Sibille : Je ne le pense pas. De fait, il y a un dossier que nous avons repris des mains de l'Ofival, c'est celui de la pesée-classement-marquage, mais on l'a ensuite mené en bonne intelligence avec l'Office. J'en profite pour signaler que nous arrivons au bout de notre démarche. L'accord interprofessionnel sur le tiers de classe, qui n'était pas défini, sera étendu par les pouvoirs publics dans les semaines qui viennent. Pour en revenir aux offices, nous militons pour qu'on les maintienne. Leur rôle est important pour gérer les crédits d'orientation ou pour jouer, dans certains cas, le rôle d'interlocuteur unique. Sur le dossier de l'équarrissage, qui est géré par plusieurs directions ministérielles de l'Agriculture et de la Santé, nous avons demandé que tout se passe désormais à l'Ofival.
LM : Enfin, revenons au projet de loi d'orientation. Une bataille a lieu sur la question de savoir si certaines organisations de producteurs de type coopératives doivent être favorisées par rapport à d'autres, type associations d'éleveurs. Quelle est votre position ?
Denis Sibille : Vous me permettrez de répondre en tant que secrétaire général de la FNB et non plus comme président de l'interprofession, sinon, je sortirais de mon rôle. A la FNB, nous tenons beaucoup à avoir la paix sur le terrain, une paix durement acquise entre les différentes formes d'organisations. Tout ce qui divise nous déplaît fortement. Je le dis d'autant plus facilement que je suis président de coopérative et que je peux affirmer que cela n'aurait guère d'effets sur les adhésions ; ceux qui viendraient à la coopération pour ces simples motifs d'intérêt ne seraient sans doute pas de très bons adhérents.