L’énergie s’introduit dans les matières premières
Les Marchés : La table ronde de mercredi porte sur «l'explosion de l'usage industriel des produits agricoles». Le terme «explosion» n'est-il pas un peu fort, au regard des conséquences possibles ?
Patricia Lecadre : L'énergie est au centre des débats. La hausse de son coût se répercute sur tous les maillons de la filière, engrais azotés, transport, transformation, etc. Cela implique des choix en termes de production agricole et d'options industrielles. L'usage énergétique des produits agricoles, que ce soit à des fins de chauffage, de production d'électricité ou de biocarburants, va forcément perturber les équilibres commerciaux. La redistribution des cartes entre l'offre et la demande en matières premières et coproduits est en pleine accélération, avec des évolutions au niveau mondial et européen qui doivent interpeller les professionnels de l'alimentation animale. Qu'il s'agisse de productions locales ou d'importations, de grands bouleversements les attendent. Nous vivons les prémices d'une réorganisation où chacun devra trouver sa place. La hiérarchie des prix bouge, chez nous et ailleurs. Il faut l'anticiper. Prenons un seul exemple, celui des co-produits de l'éthanolerie de maïs aux Etats-Unis. Ils ont déjà dépassé en volume les corn gluten feed, issus de l'amidonnerie.
Or, le FAPRI estime la hausse de leur production dans les dix prochaines années à près de 6 millions de tonnes, soit 71 % d'augmentation. Ces nouveaux tonnages vont obligatoirement ralentir la progression des tourteaux de soja et du maïs dans l'alimentation animale américaine. Ils vont aussi devoir trouver des débouchés à l'exportation. On peut légitimement s'interroger sur le bien-fondé de cette nouvelle destination des productions agricoles. Mais tant que les projets sur la biomasse ne prendront pas le relais, il faudra faire avec !
LM : L'évolution des cours va-t-elle s'en ressentir ?
P.L. : Portés par une demande mondiale toujours plus forte, minerais, charbon, gaz, sucre, céréales ou soja, sont devenus les nouvelles marottes des fonds de pension ou d'assurances. Et les sommes investies depuis trois ans dans les commodités connaissent d'ailleurs une progression exponentielle, et se chiffrent en centaines de milliards de dollars. La rentabilité y est bien supérieure aux actions ou autres placements, ce qui explique l'engouement actuel. Mais en se moquant des fondamentaux, certains acteurs brouillent des pistes déjà difficiles à suivre. Nous ne pouvons pas faire abstraction de cette évolution, comme nous ne pourrons pas faire l'économie d'une nécessaire adaptation aux outils de gestion du risque qui nous sont proposés.