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Le gouvernement argentin impose un prix au détail unique


> Le palais présidentiel et le ministère de l'Économie argentins, à la charge de Cristina Kirchner et Axel Kicillof, auteurs du dernier plan de lutte contre l'inflation.
À l'heure où les négociations commerciales font rage en France, le gouvernement argentin orchestre une chasse aux sorcières contre les distributeurs afin de tenter de protéger le pouvoir d'achat des ménages, sans en mesurer les conséquences sur l'économie du pays et des entreprises. Enquête.

Opération de communication à visée électorale ou remède contre l'inflation ? L'accord sur les prix de 194 produits de base (fruits et légumes, viande, fromage, savon, papier, détergents et même des cosmétiques), conclu le 6 janvier dernier entre le gouvernement argentin et la grande distribution, entre en vigueur dans une économie marquée par une inflation générale des prix de 20 % à 25 % par an depuis huit ans, selon la majorité des sources privées.

Depuis cette date, le litre de lait, le kilo de pain et celui de la viande hachée, vendus en grande surface, valent respectivement 7,19, 19,26 et 26 pesos, c'est-à-dire 0,67, 1,80 et 2,43 euros, d'après le taux de change officiel établi à 10,7 pesos pour 1 euro. Bien moins, selon le taux de change informel qui cote l'euro à 15 pesos, voire à 20 pesos ces derniers jours.

Prix au détail unique pour 194 produits

Valable pour l'année 2014, l'accord oblige les distributeurs à respecter un prix au détail unique et constant, déterminé conjointement avec l'État, qui reverra le niveau des prix tous les trimestres. Ils doivent aussi assurer la livraison totale et régulière des produits concernés, sans les substituer par d'autres vendus sous une marque et un emballage différents. Les distributeurs avaient contourné de cette façon un précédent accord sur les prix de produits, vite devenus introuvables. Désormais, toute rupture de stock devra être signalée de façon préventive au jeune secrétaire d'État au Commerce, Augusto Costa qui l'autorisera, ou non.

Les groupes Carrefour, Walmart, Coto, Disco, Vea et d'autres sont impliqués. Pour l'heure, l'accord prévaut seulement dans leurs magasins de Buenos Aires et sa banlieue, et ceux de la côte atlantique, période estivale oblige. La mesure sera appliquée au niveau national de façon progressive au cours de l'année.

Toute rupture de stock doit être signalée de façon préventive

Cette nouvelle intervention de l'État dans l'économie, baptisée « prix soignés », n'est pas la première de la part d'un gouvernement qui dès son accession au pouvoir en 2003 a plafonné au plus bas les tarifs de l'eau, du gaz et de l'électricité, puis ceux du transport public dans la capitale et sa banlieue. Dès 2006, il a voulu plafonner les prix du bétail sur la foire aux bestiaux de réfé” rence ; mesure extrême qui a provoqué la plus grande liquidation d'animaux de toute l'histoire de la filière. Récemment, il a saisi les actifs et nationalisé l'entreprise pétrolière YPF, filiale de l'Espagnol Repsol, en 2012, et n'a toujours pas versé les quelque 10 milliards d'euros de la valeur des parts de l'entreprise.

Cette fois, il va plus loin, en impliquant les consommateurs dans le contrôle des prix en gondole, et en encourageant les dénonciations par le biais d'un numéro vert. Ce plan « prix soignés » est relayé par une vaste campagne d'affichage publicitaire et multimédia. La présidente de la République, Cristina Fernández de Kirchner, a appelé personnellement une consommatrice, début février, pour la féliciter d'avoir dénoncé sur sa page Facebook qu'un magasin de Mar del Plata n'affichait pas un prix convenu. Les consommateurs peuvent consulter la liste des 194 produits et leur prix correspondant sur le site www.precioscuidados.com, via lequel ils peuvent faire leur dénonciation. Les militants pro-gouvernementaux sont de la partie. Ils placardent les murs de la capitale avec des affiches montrant le portrait des présidents de chacun des groupes de supermarchés impliqués dans le plan, en les accusant de voler les consommateurs.

Quelle participation des épiciers chinois ?

Cette chasse aux sorcières portera-t-elle ses fruits ou sera-t-elle un nouvel échec face à l'inflation, vieux démon de l'économie argentine ? Celle-ci s'explique en partie par une émission monétaire effrenée et en partie par la soif insatiable de dollar des Argentins qui n'ont jamais eu confiance en leur monnaie. Et pour cause, quelques jours après l'annonce du plan « prix soignés », la Banque centrale a réajusté la valeur officielle du dollar de 7 à 10 pesos ! Parallèlement, le fisc a assoupli les démarches bancaires pour acquérir des dollars, au risque de mettre en péril les fameux « prix soignés ». Selon le président de la chaîne de supermarchés Coto, Alfredo Coto, cette dévaluation du peso aura des répercussions inévitables sur les « prix soignés », sans toutefois redynamiser les exportations ” agricoles argentines.

Dès qu'un produit n'est plus rentable, nous cessons de le commander

Le succès des « prix soignés » semble dépendre de la participation des épiciers chinois qui dominent le commerce alimentaire de proximité à Buenos Aires. Un épicier chinois installé dans le quartier Almagro, à Buenos Aires, dit ne pas avoir encore reçu de liste des 194 produits distribués en grande surface. « De toute façon, cette liste ne servira à rien », dit-il sous couvert d'anonymat. « Dès qu'un produit n'est plus rentable, nous cessons de le commander à nos fournisseurs, qui eux aussi perdent de l'argent à s'en occuper, donc les produits disparaissent de la circulation », explique-t-il. « Tout augmentera, même le lait et la viande », lance-t-il à un client qui s'immisce dans la conversation, un restaurateur du quartier dont le chariot est rempli de bouteilles de vin et d'eau. D'origine européenne, il semble dédaigner les immigrants de la dernière vague. Il menace le Chinois en plaisantant à peine : « Les prix n'augmenteront pas. Attention, ils vont te mettre une amende ! » Ce dernier ne plie pas : « Les coûts des entreprises augmentent alors forcément elles réajustent leurs prix. Le gouvernement abuse de la planche à billet. Le billet de 100 pesos ne vaut plus rien », dit-il en sortant un billet de sa caisse et le secouant comme celui d'un jeu de mono-poly auquel plus personne ne voudrait jouer. Il fait mine de le couper en deux pour montrer ce qu'il vaut actuellement en Chine. Le représentant de la chambre argentine des commerçants chinois a fait savoir qu'elle était « encore en négociation avec les grossistes ». Si les épiciers chinois participent à ce plan de lutte extrême contre l'inflation, ils le feront à contre-cœur et en espérant que cela ne pénalise pas le commerce longtemps.

Les « prix soignés » en Argentine
L'ANALYSE DE DEUX ÉCONOMISTES

Deux économistes livrent leur analyse de la situation de l'économie argentine. Pour eux, l'inflation trouve son origine dans un État qui dépense plus qu'il n'a. « Les Argentins croient souvent, à tort, que l'État peut contrôler l'économie, juge l'analyste indépendant Salvador Di Stefano. Or, c'est faux dans le secteur alimentaire. Les gens mangent et continuent d'acheter malgré les hausses de valeurs minimes par rapport à celles des autres biens et services. » Pour l'économiste Ernesto Ambrosetti, du département d'études économiques de la Société rurale argentine, ces prix encadrés relèvent du « populisme ». « Le gouvernement a passé un contrat social avec les habitants de Buenos Aires, explique-t-il. Cette mégalopole abrite le tiers de l'élec-torat alors il lui offre le transport en bus et en train, le gaz et l'eau, presque gratuitement. Maintenant, il veut faire de même avec les fruits et légumes, fromages, viandes, huiles... Le résultat sur le maillon productif est catastrophique : il ralentit, licencie et cesse. Les entreprises participent par peur de représailles fiscales. » Selon lui, «il faudrait promouvoir un environnement propice aux investissements, pas saper la rentabilité des entreprises. »

www.precioscuidados.com

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