Le foie gras sans gavage n’est pas pour demain
Eh bien non, le « foie gras écologique » d'oies non gavées, l'un des « coup de cœur » du jury des innovations du Sial 2006, n'était pas à déguster à l'exposition. Son créateur Espagnol Eduardo Sousa, gérant de l'ancestral artisan du pâté La Pateria de Sousa, s'excusait par hôtesse interposée d'un prix de revient bien trop élevé pour donner son foie gras en pâture aux curieux qui se présentaient. Ce prix, auquel l'hôtesse n'osait croire, n'empêcherait pas la petite conserve de se vendre dans les grands magasins Corte Ingles en Espagne (l'équivalent de Lafayette Gourmet), comme l'avait indiqué le dirigeant. Elle se prépare aussi à être exportée. Cette intention se devinait aux étiquettes rédigées en anglais sur les boîtes factices exposées en vitrine.
Le goût de ce « foie gras » n'est-il pas tout à fait celui auquel peut s'attendre un amateur ? Cela n'étonnerait pas les spécialistes français qui, sous la pression du mouvement anti-gavage, ont tenté d'obtenir du foie gras sans gavage de plusieurs manières. Qui ne rêve pas secrètement de mettre au point la méthode sans gavage, comme les alchimistes ont rêvé d'acquérir la pierre philosophale capable de transformer le plomb en or ?
Cependant, aucune des expériences réalisées jusqu'alors, allant des plus grossières - émulsion de foie ordinaire et de graisse de canard - aux plus sophistiquées - lésions des centres nerveux de la satiété - n'ont convaincu les artisans et industriels français.
Eurêka ?
Au mieux sait-on, et seulement dans le cadre expérimental, préparer les palmipèdes afin de raccourcir la phase du gavage. Un groupe de chercheurs a montré ce mois-ci aux Journées de la recherche sur les palmipèdes à foie gras (les 18 et 19 octobre à Arcachon) que l'on pouvait doubler le poids d'un foie de canard mulard en optimisant le prégavage. Le principe est d'inciter le palmipède à surconsommer, comme il le fait avant les migrations, afin que les réserves de gras s'accumulent naturellement dans son foie. Cela laisse espérer un raccourcissement du temps de gavage en deçà de 10 jours (contre 15 jours normalement).
On joue sur le comportement animal, explique le spécialiste du gavage de l'Institut national agronomique, Jacques Servière. On restreint l'accès à la nourriture pour induire une prise alimentaire abondante. Une restriction partielle suscite une compétition favorable à la rapidité d'absorption, une restriction totale (hormis les ressources naturelles des parcours) augmente la motivation. Renseignement pris, c'est bien le principe adopté par Eduardo Sousa.
Mais le spécialiste français précise que cette méthode n'est possible que dans des conditions de température modérées. Il est par ailleurs formel sur le point que le foie obtenu au stade n'est pas assez gras et contient trop de glycogène (réserve glucidique) pour être appréciable. Selon lui, la performance espagnole « sent la promotion commerciale» propre à « ouvrir une niche de marché qui est là ». L'association Stop Gavage, a en tout cas remarqué l'innovation du Sial. Elle mentionne à cette occasion dans un communiqué un article écrit dans le Chicago Tribune (daté du 21 septembre), qui vante les mérites gustatifs d'un « Faux Gras » à base de foies de poulet servi dans un restaurant de Chicago, ville où le foie gras a été interdit. Mais les industriels français peuvent dormir tranquilles, la loi française ne reconnait de foie gras qu'obtenu par gavage.