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La protection des AOP et IGP prend de l’ampleur

Malgré l’arsenal juridique de protection des noms des indications géographiques, de nombreux cas d’usurpation sont relevés. Internet accélère le mouvement et pose un nouveau défi à la filière.

L’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) a évalué les fraudes que subissent les appellations et les indications géographiques (AOP/IGP) dans l’Union européenne. Le rapport paru en avril dernier estime cette perte à 4,3 milliards d’euros en 2014, correspondant à 9 % de l’ensemble des indications géographique (IG) (vins, spiritueux, fromages, viandes, bières, fruits, végétaux, céréales…). Les différentes catégories de produits sont touchées dans des proportions très proches : 10,6 % des fromages, 11,5 % des végétaux, 12,7 % des spiritueux et 8,6 % des vins sous IG. Ces données sont le résultat de la compilation de chiffres provenant de 17 États membres, représentant près de 82 % des produits européens sous IG. 100 000 produits ont été vérifiés dans les boutiques, bateaux, trains, bars, jusqu’à la vente par internet, précisent les auteurs de l’étude. Quand on sait que 32 % des IG sont consommés en France, on peut imaginer les conséquences pour l’Hexagone. En effet, cela se chiffre à 1,573 milliard d’euros pour la France, plus que le double par rapport à l’Italie notamment. Pour les fromages, la fraude se chiffre à 644,7 millions d’euros pour l’Union européenne. Les fraudes proviennent principalement des imitations, du défaut d’information sur l’origine des produits et du non-respect des cahiers des charges. Enfin, le taux de fraude dans les restaurants est supérieur de 15 % à la moyenne évoquée. Le top est le fait d’internet qui accuse une proportion de fraude supérieure de 30 % à la moyenne.

VEILLER À L’EFFICACITÉ DE LA PROTECTION

« Cette étude montre l’importance de normes efficaces de protection des indications géographiques », estime Massimo Vittori, directeur d’oriGIn, l’organisation non gouvernementale pour un réseau international d’indications géographiques regroupant 400 associations de producteurs et autres institutions liées aux IG de 40 pays. « La fraude sur internet est une véritable préoccupation », constate-t-il. La mise en place des contrôles sur le marché n’est pas la même dans tous les pays de l’Union européenne. L’Italie, dont le gouvernement a fait de la défense des AOP/IGP son cheval de bataille, est précurseur en la matière. Le ministère de l’Agriculture applique de manière proactive les règles européennes en matière de protection administrative des AOP/IGP. De plus, en Italie certaines AOP/IGP ont leurs propres contrôleurs, assermentés par les pouvoirs publics, et peuvent donc sanctionner directement. Par ailleurs, concernant les fraudes sur internet, le ministère de l’Agriculture italien a conclu des accords avec les sites de vente eBay, Amazon et Alibaba pour dénoncer les contrefaçons. « Le principe de base de ces accords est que, en cas d’usurpation, on demande au vendeur de retirer du site de vente le produit en question, au risque de perdre sa place dans la course au classement. Ce système est efficace. On encourage d’autres pays à s’en inspirer », appelle Massimo Vittori.

LES NOMS DE DOMAINE, UN CASSE-TÊTE

Autre usurpation possible sur internet : les noms de domaine. Avez-vous entendu parler de Icann ? Il s’agit d’une ONG américaine qui coordonne le système global des noms de domaines et des extensions sur internet. Icann a lancé dernièrement un programme de développement des noms de domaines qui a abouti à la création entre autres des extensions. wine et. vin. Si les détenteurs de marques peuvent faire valoir leurs droits en cas de conflit sur un nom de domaine, ce n’est pas le cas des IG. « Le gouvernement français s’est mobilisé avec d’autres pays de l’UE autour de cette question. La partie est difficile. Nous sommes face à une entreprise privée. Les noms des extensions sont vendues aux enchères. La mise à prix de .wine et .vin était de 180 000 USD », explique Véronique Fouks, responsable du service juridique et international de l’Inao, l’Institut national de l’origine et de la qualité, mandaté par le gouvernement français pour la reconnaissance et la protection des signes de qualité, dont les IG. Et il ne s’agit là que de la première phase d’ouverture de noms de domaine, d’autres sont déjà prévues et pourraient faire apparaitre des .cheese, .feta, etc. « En ce qui concerne les domaines .wine et .vin, les représentants de nombreuses appellations viticoles autour du monde ont réussi à trouver un accord confidentiel avec la société qui a acheté ces extensions pour reconnaître des droits aux IG en tant que telles », rapporte Massimo Vittori, qui plaide pour la généralisation de la protection des IG à tous les domaines. OriGIn a réalisé un manuel pour expliquer ce dossier à ses adhérents. « En montrant l’augmentation potentielle des frais légaux des groupements d’IG, qui doivent surveiller et faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle vis-àvis de toute tentative de tiers d’obtenir des noms de domaine correspondant ou en conflit avec les IG qu’ils représentent, oriGIn espère promouvoir au niveau mondial, à travers ce manuel, un véritable débat sur les moyens les plus efficaces pour assurer une protection efficace des IG (et des droits de propriété intellectuelle en général) dans les noms de domaine internet », pouvons-nous lire sur le site de l’organisation.

QUELQUE 9 000 IG DANS LE MONDE

Aujourd’hui, les débats dans les enceintes internationales sont toujours difficiles, comme par exemple à l’OMPI, l’Organisation mondiale de la protection intellectuelle, du fait particulièrement de la réticence des États-Unis vis-à-vis du système des appellations et indications d’origine protégées. Il suffit de taper sur un moteur de recherche « Consortium for common food names » (consortium des noms d’aliments génériques) pour découvrir la croisade menée outre-Atlantique contre les AOP et IGP européennes, sur fond de TTIP (accord en négociation entre l’UE et les États-Unis, de plus en plus controversé). La rançon de la gloire ? « Le concept des IG, parti de l’Europe, a essaimé partout dans le monde. On compte aujourd’hui quelque 4 000 IG dans l’UE et, selon les estimations, au moins 5 000 hors Europe. Les pays asiatiques et d’Amérique du Sud sont très intéressés par le concept et n’hésitent pas à inclure les IG dans les accords bilatéraux avec l’UE », rapporte Massimo Vittori. « Le traité de Lisbonne, qui a été révisé en 2015 et attend sa ratification, élargit également la sphère de protection des IG aux pays signataires, 28 au total, dont une majorité de pays africains », complète Véronique Fouks. Le mouvement général de protection des IG avance ses pions inlassablement. Pour preuve, oriGIn est sollicité pour intervenir aux quatre coins du monde. « Dans les mois qui viennent, nous sommes attendus au Laos, en Turquie et en Argentine », confie Massimo Vitto. Rita Lemoine

QUESTIONS À

Quelle est l’ampleur de la fraude sur les AOP et IGP en France ?

Véronique Fouks - Nous traitons une soixantaine de courriers par an pour l’ensemble des signes de qualité, auxquels il faut ajouter ceux traités par les services de la Répression des fraudes. Un exemple récent : l’utilisation abusive de la dénomination comté par une grande chaîne de pizzérias. Nous avons gagné en première instance. Il faut en effet rester vigilant, mais je peux avouer que nous ne constatons pas de fraude massive en France.

Et sur internet ?

V. F. - Le combat est impossible sur internet face à l’ampleur de la tâche. Nous surveillons le dépôt de marque partout dans le monde, mais nous ne le faisons pas pour les noms de domaine sur internet en l’absence de moyen juridique d’intervention. Le champagne le fait et reçoit une centaine d’alertes par jour. Nous allons établir un bilan sur les démarches conduites dans le domaine du vin pour trouver une ligne à suivre. Toutefois, quand nous recevons un signalement, un simple courrier au site concerné aboutit au retrait de l’annonce.

Qu’en est-il pour les ingrédients ?

V. F. - L’Inao a créé une commission regroupant les professionnels et les administrations pour travailler sur la protection des IG quand elles sont utilisées en tant qu’ingrédient. Nous définissons des orientations et nous souhaitons les diffuser pour agir en amont et éviter ainsi de recourir au contentieux.

 

UNE ENQUÊTE SIGNÉE CNAOL

Le Cnaol a adressé cet été un questionnaire aux 50 ODG laitières pour mieux cerner leur exposition aux fraudes. Les 28 réponses reçues montrent que 54 % des ODG ont été confrontées à une usurpation au moins une ou deux fois par an ces cinq dernières années. « Plus la notoriété d’une AOP est forte, plus la tentation d’en usurper le nom ou l’image est importante, avec pour conséquence des cas d’usurpation qui se multiplient : 12 % des AOP concentrent des expositions à des usurpations supérieures à plusieurs cas par an », précise Paul Zindy, animateur du Cnaol. Les conséquences constatées par les ODG sont un affaiblissement de l’image du produit, en majorité (70 %), mais aussi une perte de marché et une démobilisation des opérateurs.

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