La mauvaise alimentation, fruit amer de la précarité
Quelques chiffres suffisent à témoigner de l’ampleur de la précarité en France. Cette année, c’est la 22e campagne des Restaurants du cœur. Ils ont été fréquentés par 690 000 personnes en 2005-2006. Au total, 7,1 millions de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté en France, soit 12 % de la population française. Dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est un habitant sur quatre qui est concerné !
Ces chiffres ont éclairé les cinquièmes ateliers de nutrition de l’Institut Pasteur de Lille (IPL) organisés le 5 décembre dernier sur le thème « Alimentation et nutrition chez les personnes en situation de précarité». Cette journée, qui réunissait nombre de travailleurs sociaux, des élus et des bénévoles, était animée par le professeur Lecerf, chef du service nutrition à Pasteur.
Les dernières études soulignent que le budget alimentaire des personnes pauvres ne permet pas une alimentation équilibrée. « La moyenne par personne des dépenses alimentaires est estimée à 2,6 euros par jour alors que l’on estime à 3,5 euros par jour la somme minimale pour couvrir de façon satisfaisante les besoins nutritionnels », expliquera Valérie Deschamps de l’Unité de Surveillance et d’Epidémiologie Nutritionnelle créée en 2001 à Bobigny (93). Les contraintes budgétaires orientent souvent les choix alimentaires vers des aliments de qualité nutritionnelle médiocre, riches en énergie, en sucres et en graisses au détriment des fruits et légumes ou du poisson notamment.
Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si la 22e campagne des restaurants du cœur s’est ouverte sur le slogan : « tout le monde a le droit de manger équilibré !». L’association fondée par Coluche dispose de deux millions d’euros supplémentaires pour permettre aux bénéficiaires de recevoir deux fruits frais par semaine et par personne ainsi que des légumes tous les quinze jours. Mais les fruits et légumes sont chers !
Des coupons fruits et légumes à 10 euros ?
« Faut-il baisser le prix des aliments ?» La table ronde n’a pas permis de discerner le réalisme économique du caractère utopique de certaines propositions. Faut-il favoriser les aliments premier prix ou les marques distributeurs ? « On manque d’éléments précis permettant de juger de leurs qualités nutritionnelles », expliquera Nicole Darmon, de l’UMR INSERM à la faculté de médecine de La Timone à Marseille. Faut-il baisser la TVA de 5,5 à 2,1 % et quel en serait le véritable impact sur les précaires ? « Faut-il prévoir des coupons “fruits et légumes” de dix euros par famille et par mois ? Le budget annuel d’une telle opération avoisine les 6 à 700 millions d’euros par an. Le ministre n’a pas refusé l’idée… mais n’a pas pris de décision », expliquera Serge Hercberg, le président du comité de pilotage du PNNS qui s’interroge sur les moyens de financement d’une telle mesure.
Ce dernier reconnaît néanmoins que « si les trois quarts des actions du PNNS ont été menés à terme, ce n’est pas dans le domaine de la précarité qu’il a été le plus actif !».
A la ville de Lille, on insiste pour que l’on analyse de très près les aspects connexes environnant la notion de prix (emballages, transports..) et l’on souligne l’action menée par le Secours Populaire pour la diffusion de recettes auprès des populations concernées.
« Il n’est pas simple de faire évoluer les goûts alimentaires, il faut pouvoir redonner du plaisir et leur réapprendre la cuisine ». Après avoir satisfait les besoins en terme de quantité, leur redonner l’envie de manger. « En quelque sorte réapprendre les savoirs de base : savoir faire la cuisine, apprendre à acheter ses produits et savoir utiliser les produits de base », expliquera Henri Peltier, vice président de la Fédération nationale des Associations de Réinsertion Sociale. Des apprentissages qui de ce côté-là dépassent sûrement la simple population des précaires.