Stocks
« La gestion en flux tendus est remise en cause »
La crise liée au Covid-19 est en train de montrer que la gestion financière des entreprises agroalimentaires avec des flux tendus à l’extrême a ses limites, selon Bernard Gaud, expert du secteur agroalimentaire du cabinet Auris Finance.
La crise liée au Covid-19 est en train de montrer que la gestion financière des entreprises agroalimentaires avec des flux tendus à l’extrême a ses limites, selon Bernard Gaud, expert du secteur agroalimentaire du cabinet Auris Finance.
Les Marchés Hebdo : Les stocks sont mal vus par les investisseurs financiers dans l’agroalimentaire, rappelez-nous pourquoi ?
Bernard Gaud : Depuis 15-20 ans dans l’approche de gestion des entreprises par les banquiers, les experts-comptables et les analystes financiers, le stock est considéré comme un élément à risque. Une entreprise doit travailler en flux tendu pour économiser en trésorerie. Ce prisme est lié au phénomène de financiarisation de l’économie, ce n’est pas spécial à l’agroalimentaire. Cela va avec l’externalisation de certaines fonctions. Jusqu’à aujourd’hui, un bon manager était par définition celui qui gérait ses stocks au plus serré. Dans le cadre d’une entrée de fonds, ce paramètre est aussi regardé. Mais cette gestion des flux tendus à l’extrême va être remise en cause.
LMH : Que change l’épidémie de Covid-19 à cette problématique, selon vous ?
B. G. : Cette crise est peut-être en train de remettre les pendules à l’heure entre une gestion avec trop de stocks et une gestion sans stock. J’ai eu récemment un chef d’une très grosse entreprise de plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires : une de ses lignes de fabrication était arrêtée, car il n’avait pas reçu ses emballages. Un autre n’avait plus d’étiquettes. Aujourd’hui dans les usines agroalimentaires, nous avons des machines qui tombent en panne sans pièces de rechange. Avant, on envoyait un mail et la pièce arrivait le lendemain. Avec la crise liée au Covid-19, la pièce va peut-être mettre plusieurs semaines à arriver si elle est coincée dans un conteneur.
LMH : Quel niveau de stock raisonnable, préconisez-vous ?
B. G. : La situation est différente pour chaque entreprise. Pour une entreprise spécialisée dans le pollen par exemple, la matière première représente l’essentiel de la valeur ajoutée, si elle n’a pas deux ans de stocks, c’est une entreprise à risque. Alors qu’à l’inverse, une entreprise qui travaille dans la panification peut tourner avec une semaine de stock. Il n’y a pas de dogme en la matière. Il faut juste retrouver une façon de gérer les entreprises pour qu’elles puissent faire face aux à-coups. Les ruptures de chaîne d’approvisionnement que l’on voit actuellement peuvent mettre les entreprises à terre.
Les banques devraient moduler leurs critères d’appréciation
LMH : Votre message s’adresse aux dirigeants mais pas seulement…
B. G. : Non, il s’adresse aussi au monde financier qui se base sur des critères d’analyses fondés sur le modèle d’avant. Je souhaite que le monde d’après revoit pour une part sa vision des stocks. Les banques, fonds d’investissement et analystes financiers devraient moduler leurs critères d’appréciation.
LMH : Comment une PME confrontée également à des problèmes de trésorerie peut-elle sortir du règne du flux tendu ?
B. G. : Les entreprises qui ont des fonds propres et de la trésorerie ne sont pas dans la même situation que les autres. Mais il faut que le monde bancaire comprenne qu’il faut assurer la trésorerie courante et suivre la croissance des besoins en fonds de roulement pour permettre la reconstitution des stocks.
40 ans d’expérience dans l’agroalimentaire
Expert dans le secteur agroalimentaire pour les fusions/acquisitions auprès d’Auris Finance depuis plus de deux ans, Bernard Gaud bénéficie d’une longue expérience dans l’agroalimentaire. Ayant commencé sa carrière comme chef de cabinet de Michel Debatisse, alors secrétaire d’État aux IAA, il entre ensuite à Sodima Yoplait-Candia, dont il devient directeur général avant de prendre la direction générale d’Arcadie. Il dirige ensuite la société bio Le Goût de la vie, puis L’Étoile du Vercors avant de devenir actionnaire des Salaisons des Monts Expansion.