Etre bête ou vivre avec
Son titre interdit d'offrir ce livre à quiconque. « Etre bête » a pourtant une couverture drôle : la photo de deux vaches dont l'anonymat est préservé par des caches apposés sur les yeux. Bête, il ne faut pas l'être pour lire et apprécier cette enquête sur le propre de la vache et du cochon. Il faut même être assez cultivé, avoir au moins étudié la philosophie, l'agronomie ou la sociologie. Des neurones, il en faut pour saisir certaines nuances. Par exemple, à propos du fait de deviner les pensées des animaux : « on prête des mots comme on prête des intentions. A la différence près (…) que l'exercice d'échanges se fait sur le mode de la traduction (…) L'interprétation appartient au régime de la lecture des signes, la traduction, en revanche, court-circuite la référence au signe ». On a intérêt à suivre pour ne pas s'embourber dans les méandres- pardon- le développement de la réflexion.
Elle commence par une question , posée à une éleveuse : « La différence entre l'homme et les animaux ?» Les anthropologues, primatologues, psychologues ou philosophes y ont déjà longuement répondu, mais toujours avec l'arrière-pensée de défendre leur propre champ professionnel. Les zootechniciens eux-mêmes ont « mécamorphisé » l'animal pour tourner la page de l'époque où hommes et bêtes vivaient et travaillaient ensemble.
Les éleveurs étaient supposés répondre plus directement, mais les deux auteures * ont réalisé que la question était trop orientée pour eux. « Comment vivent-ils avec les animaux » est apparue comme plus pertinente. Le fait d'élever des animaux apparaît comme la capacité de leur attribuer des intentions, voire de les considérer capables de prêter des intentions à l'éleveur. Toute l'histoire de la domestication animale reposerait sur ce malentendu. La démarche intéressante serait celle de l' « éthologie » entendue comme science pratique des manières d'être et de leurs transformations. Dommage que l'enquête ne se nourrisse davantage d'anecdotes ou d'exemples.
« Etre bête » De Vinciane Despret (Université de Liège) et Jocelyne Porcher (Inra). Acte Sud 141 pages 14 euros