Contraintes et atouts des fabricants français d’aliments
Face à la hausse structurelle des coûts, à leur extrême volatilité, à l'euro fort et au développement des agro-carburants, les filières d'élevage vivent une mutation. La spécialiste des matières premières, Patricia Lecadre, qui anime aujourd'hui les Journées Matières Premières Claude Thieulin à Paris (voir le programme de ce mercredi en encadré), place le fabricant d'aliment composé au centre des mécanismes d'adaptation.
Celui-ci a l'habitude des variations de prix (on a déjà connu un tourteau de soja à 300€/tonne). La nouveauté est que tous les compartiments de sa formule sont touchés au même moment, que ce soit l'énergie, la protéine, les fibres. Les traders invités à la session de l'Aftaa sont là pour exposer les raisons multiples et mondiales de la flambée. Face à la hausse des cotations, aucune solution miracle.
Il n’y a pas pas de solution miracle
« La mondialisation, c'est la loi des vases communicants », selon Patricia Lecadre ; voilà pourquoi une bonne affaire (sorgho américain, manioc thaïlandais, maïs brésilien) disparaît vite. A propos du dollar, « la meilleure subvention à l'exportation qui soit pour les Etats-Unis », glisse-t-elle, l'actuelle parité avec l'euro est plutôt favorable à nos importations de soja. Elle atténue un peu notre facture protéines, en dépit des apparences. Reste le fret maritime, inquiétant. Une éclaircie est possible avec l'arrivée fin 2008 de tankers reconvertis en vraquiers.
Pour ce qui est des agro-carburants, Patricia Lecadre ne voit pas l'avenir aussi rose que les investisseurs des filières végétales. « Nous verrons si l'évolution de ce dossier permettra, au moins momentanément, de faire retomber la pression sur les céréales et les oléagineux », avance-t-elle.
La contrepartie, ce sera moins de coproduits disponibles pour l'industrie de la nutrition animale. Or, ces derniers se révèlent déjà insuffisants pour tempérer le caractère haussier des formules d'aliments. Malgré l'augmentation de l'utilisation des tourteaux de colza, la consommation de soja progresse, constate-t-on. Aujourd'hui, Yvon Pennors, directeur général de Bunge France, est invité à répondre à la question : le soja est-elle une protéine incontournable ? « Heureusement, souligne l'animatrice de l'atelier, l'amidonnerie européenne, portée par l'alimentation humaine, reste une source sûre de protéines concentrées particulièrement importantes pour contrer la raréfaction des farines de poisson et des protéines laitières ».
Accepter des variations de formules
Le métier du fabricant est en train d'évoluer. Parce que toutes les raisons conjoncturelles qui se sont conjuguées cette année peuvent devenir structurelles. L'acheteur de matières premières doit plus que jamais se positionner en « risk manager », en utilisant au mieux les outils de gestion du risque. Travail délicat : « il ne suffit plus de suivre les fondamentaux des marchés, il faut aussi, au travers des analyses techniques, comprendre et anticiper la psychologie des investisseurs pour qui les commodités agricoles apparaissent aujourd'hui comme des valeurs refuges », explique Patricia Lecadre. Quant au « formulateur » (celui qui met au point la formule d'aliment), il doit mobiliser toutes les ressources de la zootechnie pour réduire au maximum les gaspillages.
Jouer sur des formules moins denses
Concrètement, cela veut dire : suivre avec beaucoup de précision la qualité des matières premières pour éviter de devoir prendre des marges de sécurité qui coûtent cher ; apprécier au mieux leur potentiel nutritionnel ; savoir se montrer « libéral » avec des produits irréprochables au niveau sanitaire. Patricia Lecadre s'explique sur le mot « libéral » : « monter le maximum d'incorporation d'une matière première ». Il faut enfin éviter d'être extrémiste en matière de besoins nutritionnels : « il faudra peut-être accéder à des formules moins denses sur le plan nutritionnel », c'est-à-dire, par exemple, moins concentrées en énergie.
Enfin, toute prospective sur l'avenir de telle ou telle filière prendra en considération « que la hausse des coûts alimentaires est planétaire, de l'Europe à l'Inde, des Etats-Unis à la Chine, et que l'approvisionnement en matières premières des filières animales, qu'elles soient liées au sol ou non, n'est certainement pas le seul élément à prendre en compte dans la compétitivité des productions animales », conclut l'animatrice des Journées Claude Thieulin.
D'autres éléments économiques comptent également, comme l'industrie d'aval pour la transformation, la taille des acteurs, le degré de concentration du secteur, la proximité de centres de consommation. C'est ce que les participants de l'atelier verront aujourd'hui à travers l'exemple de la filière porcine française.