Bien-être : un sujet stratégique pour les filières animales
Les vidéos volées par l’association L214 ces dernières années dans les élevages ou les abattoirs, pour pointer du doigt les conditions dans lesquelles les animaux vivent et meurent, ont blessé le monde de l’élevage. Ces actions inquiètent les éleveurs, car ils savent que les images partagées sur les réseaux sociaux vont les mettre en accusation. Si l’Europe a statué sur le sujet il y a plus de quarante ans (1976) en adoptant la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages – cinq libertés fondamentales : ne pas souffrir de faim ou de soif ; d’inconfort ; de douleurs, blessures ou maladies ; ne pas éprouver de peur ou de détresse –, la prise en compte du bien-être animal par les consommateurs est plus récente.
Danemark et Allemagne en avance
Elle résulte tout à la fois du rejet grandissant d’une agriculture intensive, de la survenue de scandales alimentaires et l’intérêt croissant pour une alimentation de proximité. Ce phénomène se produit un peu partout dans les pays riches. Des associations comme L214 en France militent ouvertement pour l’abolition de l’élevage, publiant régulièrement des vidéos chocs pour frapper l’opinion.
Dans ce contexte, entendre les éleveurs clamer qu’ils sont les premiers garants du bien-être de leurs animaux ne suffit plus à calmer les esprits. Il faut faire évoluer le modèle de l’élevage. Aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne où les attentes en matière d’environnement et de bien-être animal ont toujours été plus importantes que dans le reste de l’Europe, une partie des éleveurs ont modifié leurs pratiques. « En partenariat avec les distributeurs et les consommateurs, leurs filières ont mis en place plusieurs labels qui proposent des indicateurs (une à plusieurs étoiles ou cœurs, ndlr) selon le degré d’intensité de bien-être pratiqué en élevage », explique Christine Roguet, chargée du dossier bien-être pour l’Institut technique du porc (Ifip).
Ces labels accordent plus de places aux animaux dans les bâtiments, limitent les attaches, réduisent fortement l’usage d’antibiotiques, interdisent toute castration, obligent à plus de lumière, etc. Certains labels ont été des échecs ou des semi-réussites. En revanche, Beter Leven au Danemark estampille « 90 % de la viande fraîche de porc et 35 % des saucisses vendues au Danemark », poursuit Christine Roguet, et ce, grâce à la participation de distributeurs dans l’opération. Ce qui ne signifie pas que l’ensemble de la production danoise répond au cahier des charges du label. 90 % du porc danois est en effet voué à l’exportation.
Projet Ouest Territoires d’élevage
En France et généralement dans les pays du sud de l’Europe, ces labels spécifiques au bien-être animal n’existent pas encore. Mais les filières de l’élevage de l’Ouest (Bretagne, Pays de la Loire et Normandie) s’en préoccupent. Il n’y avait qu’à voir le nombre d’innovations relatives au bien-être animal présentées au Space cette année. Les producteurs de lait bretons ont créé cette année l’association Lait de pâturage (voir LMH 374) pour valoriser le lait des vaches broutant de l’herbe 150 jours en moyenne par an.
Agrial, Triskalia et Terrena s’engagent
Les groupes coopératifs Agrial, Triskalia, Terrena ne sont pas en reste. Ils se sont rapprochés des chambres d’agriculture des trois Régions ainsi que de différents instituts de recherche et universités pour former en début d’année le projet baptisé Laboratoire d’innovation territorial « Ouest Territoires d’élevage ». Objectif : identifier de nouvelles pratiques d’élevage en lien avec le bien-être animal à l’échelle de petits territoires d’élevage de l’Ouest pour mieux répondre aux attentes des consommateurs.
Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’Inra qui pilote le projet, est persuadé que « le bien-être animal est un levier majeur pour redonner de l’espoir aux filières animales ». Les professionnels doivent prendre le sujet à bras-le-corps, car, ajoute le scientifique, « j’ai la conviction que le bien-être animal sera de plus en plus réglementé ». Orienter l’élevage vers de nouvelles pratiques générera dans certains cas des coûts supplémentaires ou des rendements inférieurs du fait d’un moindre chargement dans les bâtiments. La baisse des performances économiques pourra-t-elle être amortie par de la création de valeur ?
Guère plus de 5 % de hausse du prix de vente
Si l’on se réfère aux gains économiques engendrés par les labels du nord de l’Europe pour les éleveurs, le retour aux éleveurs paraît plutôt maigre. « Les consommateurs n’acceptent guère plus de 5 % d’augmentation du prix de vente », précise Christine Roguet. Les filières d’élevage n’ont de toute façon plus le choix : elles doivent s’emparer du bien-être animal, expérimenter de nouvelles pratiques avant de songer à en retirer de la valeur.