Produits laitiers : la souveraineté française mise à mal
Si la filière laitière se targue encore d’exporter 40 % de son lait, le taux d’autosuffisance de l’hexagone en lait s’amenuise à mesure que la production se réduit.
« Avant, les producteurs de lait n’étaient pas courtisés pas d’autres industriels, illustre Pascal Le Brun, président de la Coopération laitière. La disponibilité de la ressource laitière sera une question dans quelques mois, quelques années. » Le bilan est alarmant et partagé par de nombreux acteurs de la filière. La production laitière française diminue, semble-t-il inexorablement.
« À ce rythme de dégradation, le taux d’autosuffisance en lait pourrait passer sous la barre des 100 % en 2027, ce qui est déjà le cas pour la matière grasse laitière depuis 2017 », révélait le Cniel dans sa note de conjoncture interne de juin. Début 2023, il était de 108 %. En 2015, il avoisinait 120 %.
Définition
Le taux d’auto-approvisionnement est calculé comme le ratio entre la production et la consommation sur un territoire donné, ici en France. Un ratio supérieur à 100 % indique schématiquement que la France produit plus qu’elle ne consomme. Elle est donc en capacité apparente d’assurer, au moins en volume et en moyenne, son autosuffisance. C’est le cas pour l’ensemble de la catégorie « produits laitiers ». Mais dans le détail, elle doit en importer quelques-uns, notamment du beurre industriel à destination du secteur de la boulangerie-patisserie car l’Hexagone ne produit pas assez de matière grasse laitière comparé à la demande de son marché intérieur. Cela ne l’empêche pas pour autant d’exporter du beurre plaquette à haute valeur ajoutée.
Les raisons de ce décrochage ? Une demande en produits laitiers qui, malgré des difficultés dans certains rayons de supermarché, a augmenté en France ces dernières années et en parallèle, une offre qui baisse.
« En termes d’évolution dans le temps, paradoxalement ce ne sont pas les filières les plus spontanément envisagées en termes de perte de souveraineté (viandes, fruits et légumes) qui connaissent les évolutions les plus marquées mais bien les produits laitiers, les céréales et les oléoprotéagineux. » - FranceAgriMer dans son rapport Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan
Une demande structurelle forte en matière grasse
Côté demande pour les produits laitiers, la consommation française est déséquilibrée, avec un excédent de protéines et une insuffisance de matières grasses. « La France, comme beaucoup de pays riches, est déficitaire en matière grasse laitière, explique Jean-Marc Chaumet, directeur Économie au Cniel. Nous consommons beaucoup de beurre et n’en produisons pas assez. » Conséquence : nous en importons.
Pourquoi ne pas transformer plus de lait en beurre si la demande est là ? Plusieurs limites apparaissent. Tout d’abord, plus de beurre, c’est aussi plus de poudre maigre, son coproduit. Or cette commodité est très fortement exportée en dehors de l’Union européenne et est dépendante des cours mondiaux soumis aux aléas tant économiques que géopolitiques. Par ailleurs, plus de beurre, c’est aussi moins de crème ou de fromages dont la valeur ajoutée peut expliquer que les transformateurs ne s’en sont pas détournés au profit du beurre. « Ne vaut-il pas mieux faire des produits mieux valorisés à l’export que du beurre industriel à destination du marché intérieur ? », interroge Jean-Marc Chaumet.
De plus, si le taux de matière grasse du lait a tendance à remonter, les données du contrôle laitier montrent qu’il semble atteindre un palier ces trois dernières années autour de 40,6 g/kg quand il était de 39,2 g/kg en 2015. « Même en cherchant à maximiser le TB, cela ne suffira pas à répondre à la demande qui est extrêmement forte », estime Jean-Marc Chaumet.
Une production qui décroche
Côté production, le recul de la collecte se poursuit de mois en mois. « Depuis 2021, la collecte a entamé un repli structurel qui s’accentue en 2023. […] La bonne tenue du prix du lait et une année fourragère plutôt favorable n’enrayent pas le recul de la collecte française », explique l’Idele dans son Tendances de septembre. La collecte française a poursuivi un recul appuyé cet été (-2,9 % en juillet/juillet 2022 et -2,4 % en août). En cumul sur les sept premiers mois de 2023, la baisse de la collecte a atteint 2,3 % par rapport à l’année précédente. L’Ouest n’est pas épargné. Seuls la Normandie et les Hauts-de-France parviennent à enrayer la décroissance.
« Nous ne compensons plus les départs par ceux qui restent, déplore Florence Monot, directrice générale amont Sodiaal. Nous entrons dans une ère où nous voulons garder la ressource laitière pour nous. »
Les usines manqueront-elles de lait ?
Déjà certaines usines ressentent le manque de lait à certaines périodes et peinent à tourner à plein régime. « Si, à date, nous n’éprouvons pas de difficulté pour l’ensemble de nos 65 usines Sodiaal, août et septembre sont les mois les plus compliqués. Nous devons acheminer du lait dans nos usines de l’Est en provenance du Massif central, mais cela coûte très cher », explique-t-elle alors que la coopérative a déjà opéré une importante restructuration de ses capacités de production.
Ces flux de lait pourraient, à mesure que la ressource se raréfie, devenir monnaie courante, entraînant un surcoût non négligeable, sans compter l’impact carbone. « Cela sera un vrai sujet dans certaines régions, abonde Pascal Le Brun, de la Coopération laitière. Il y aura nécessairement des restructurations avec des fermetures d’usines. »
« Le sujet de la baisse de la collecte est particulièrement préoccupant, estime également François Xavier Huard, président-directeur général de la Fnil (industries laitières privées). Peut-être pourra-t-on compenser les départs par une hausse des rendements grâce à la génétique ou la gestion des troupeaux. » Un prix du lait incitatif pèsera également dans la balance.