Vous reprendrez bien une pincée d’appellation ?
L’utilisation des produits AOP et IGP comme ingrédients des produits industriels transformés est un souci récurrent chez les professionnels des signes officiels de qualité et d’origine. Ce thème a fait l’objet d’un débat lancé par Cristina Rueda Catry, administrateur à la DG Agri, lors de la table ronde européenne de Squalim qui a eu lieu à Nantes le 20 mars dernier. « Il est de plus en plus courant de retrouver des AOP ou des IGP comme ingrédients dans des produits élaborés, par exemple de pizzas, des pâtes farcies, même des conserves », a-t-elle constaté.
Ainsi, certains fabricants utilisent des noms géographiques protégés pour mettre en valeur un plat préparé : « Il existe une “pizza au beaufort” dans laquelle la proportion de beaufort est de 1% du contenu total de la pizza, c’est-à-dire autant que le sel !,assure Anne Richard, directrice du Conseil national des appellations d’origine laitières. Alors, pourquoi ne pas l’appeler pizza au sel ? » On voit bien, dans cet exemple, l’intérêt d’une marque à mettre en avant l’appellation d’origine alors que le produit fini n’en contient que très peu. Jean-Jacques Bret, directeur du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté, a confirmé cette impression lors d’une table ronde organisée récemment à Bruxelles sur cette question par les cabinets Insight Consulting et O’Connor. Le terme réputé et porteur de Comté est mis à toutes les sauces sans que l’ODG (Syndicat de défense du produit) ne puisse intervenir.
Qui doit décider ?
De fait, le vide juridique est important sur cette question et seuls deux Etats ont réglé le problème : la Suisse, pour laquelle les ingrédients d’AOC ou d’IGP sont interdits par la réglementation, et l’Italie, qui, depuis trois ans, a légiféré pour rendre au consortium et à lui seul le droit de négocier la présence de son produit dans une préparation culinaire. Ainsi, un accord a été conclu entre le parmigiano reggiano, le speck du Haut-Adige et la société Barilla pour utiliser le nom de l’appellation dans des produits de marques nationales. « Nous sommes très mal armés pour déterminer si le produit qui a été utilisé est authentique, regrette David Thual, directeur d’Insight Consulting. Les examens organoleptiques ne décèlent pas si c’est véritablement le produit d’origine qui a été utilisé. Ce détournement de nom géographique est un réel abus de notoriété, voire une usurpation. »
Alors il va falloir trancher et vite car une modification du règlement 510 (AOP-IGP) est en cours et la question des ingrédients fait partie des points qui méritent modification. Mais quelle position choisir ? Celle du radicalisme suisse ou celle plus « commerciale » des Italiens ? « Il semble bien que la sagesse serait de conserver et d’unifier la position italienne, recommande David Thual. Les AOP et IGP ont aussi des défis commerciaux à relever pour leurs produits. Interdire purement et simplement la présence d’ingrédients dans les produits préparés ferait perdre des marchés aux IG. Nous n’avons pas d’état d’âme quant à la présence de ces ingrédients dans les produits de marques. Mais il faut que cela soit fait dans les règles, avec l’accord des ODG qui, seules, pourraient prendre des accords et ainsi éviter, par là même, l’utilisation de produits de substitution portant le nom de l’appellation. »
C’est aussi une question de protection du consommateur. Celui-ci doit évidemment être sûr qu’on lui offre du véritable beaufort lorsqu’il paye plus cher sa « pizza au beaufort ».