Vin : « une fuite en avant suicidaire »
Les Marchés : La Confédération paysanne ne faisait pas partie des organisateurs de la manifestation d’hier. Vous ne partagez donc ni le diagnostic, ni les revendications des responsables professionnels et syndicaux ?
Pascal Frissant : C’est à peu près ça. Cela dit, on a quand même appelé à y aller car il y a un malaise viticole. Par contre, on n’est pas d’accord pour accuser de tous les maux de la terre les difficultés à faire la promotion du vin. L’espace qui nous ait permis existe, si on l’utilise mal c’est qu’il y a un manque de créativité chez les responsables viticoles et les agences de communication. Le mimétisme à l’étranger des vins français par rapport aux vins américains nous semble révéler de ce manque de créativité.
Si on nous achète du vin c’est pour la culture française du vin, les terroirs, un travail du vin particulier, des paysages, la sociabilité dans les villages. Ce qui est vendeur c’est notre côté décalé par rapport à la société où tout le monde se dépêche. Si nous nous détournons de tout ça et réduisons le vin à une marchandise, on va se casser la figure. Bien sûr, actuellement, c’est difficile. Mais c’est incompréhensible qu’on ait autorisé des augmentations de rendement, alors qu’on est en crise.
On a favorisé la recette individuelle contre l’équilibre global. On va entraîner toute la viticulture française dans le productivisme (avec ajout de copeaux de bois et augmentation des pesticides comme corollaire) alors que c’est l’inverse qui faisait sa qualité. Cette fuite en avant vers un modèle américain est suicidaire tant du point de vue du produit que de la santé du vigneron. Il y a quelque chose de l’ordre de l’imbécillité collective.
Les Marchés : Selon vous, quel est le moyen de sortir de la crise ?
P.F. : Globalement on a proposé comme élément de régulation de se partager le marché en respectant voire en diminuant les rendements, s’il le faut. Pour ce qui est des aides, on pense qu’il faut dégager un noyau de situations pour lesquelles on doit maintenir le niveau de subvention : les zones de montagne, les zones difficiles ou les cultures respectueuses de l’environnement. Quant à l’arrachage, on pense qu’il faut mettre en place une commission à l’Onivins pour réfléchir aux conséquences d’une telle mesure avant de prendre une quelconque décision. Aujourd’hui il y a un vrai problème social, mais cela ne nous semble pas cohérent de le résoudre en supprimant le patrimoine viticole. Par ailleurs, plutôt que de financer la distillation, il nous paraît plus intéressant d’aider à un stockage de qualité, pour éviter des situations où lorsque l’on manque de vin on fait appel à des vins étrangers.
Les Marchés : Vous aviez prévu d’organiser hier soir un débat sur le thème « peut-on parler du vin aujourd’hui ? », en présence de Claude Evin et d’associations d’alcoologues. Quel était le but de cette rencontre ?
P.F. : Notre but était d’élargir le débat, en le posant en termes sociologiques : que représente le vin dans le développement d’un individu ? On sent que la morale monte, il y a un vent d’austérité. On veut poser la question du vin dans la société. Notre souhait est de voir un groupe de travail se constituer autour de Claude Evin, de Jean-Marie Le Guen, d’élus, d’alcoologues et de représentants viticoles pour réfléchir à la manière d’enrichir la loi Evin.