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Rupture brutale : vers une application au cas par cas ?

Didier Le Goff.

La CJUE a récemment pris une décision importante en matière de responsabilité pour rupture brutale de relation commerciale établie. Les juridictions françaises, elles, se cherchent encore.

L’introduction dans notre droit commercial en 2001 de la responsabilité pour rupture brutale de relation commerciale établie a suscité d’emblée un très abondant contentieux ayant permis de fixer les contours de la notion. Mais très vite, la question a été de savoir quel tribunal serait compétent pour déterminer si des relations commerciales établies ont pris fin conformément aux exigences de l’article L442-6-I, 5° du Code de commerce.

Alors qu’on aurait pu penser que le contentieux par lequel un opérateur se plaignait d’avoir été évincé sans respect des formes requises avait nécessairement une nature contractuelle, c’est le contraire qui sera décidé par la jurisprudence qui verra dans cette action spéciale en responsabilité un fondement délictuel, puisque fondé sur un texte destiné prioritairement à réguler les relations économiques. Et qui, de ce fait même, est une norme d’ordre public, et même une loi de police dans l’ordre international, ce qui permet à un Français d’invoquer cette réglementation dans ses relations avec un partenaire étranger.

Affirmer un tel fondement délictuel est lourd de conséquences. Cela rend inapplicable au regard de la rupture brutale, la loi souvent désignée par les parties dans leur contrat, dès lors qu’il ne s’agit pas de la loi française. Et neutralise les clauses compromissoires ou attributives de juridiction, d’autant qu’en la matière, la loi française s’est renforcée en 2009 d’un décret qui attribue le contentieux des pratiques restrictives dont participe la rupture brutale, à huit tribunaux de commerce et à la seule cour d’appel de Paris.

Prise de position claire de la CJUE

Il n’est, dès lors, pas étonnant que ce soit d’un contrat international rompu au préjudice d’une société française par une société italienne, qu’une prise de position claire ait été apportée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la nature délictuelle ou contractuelle du contentieux conduisant à déterminer le tribunal compétent.

En l’espèce, une société niçoise distribuait sans contrat écrit en France les produits d’une société italienne qui a décidé de mettre un terme aux relations avec trois semaines de préavis seulement. Le tribunal de commerce de Marseille a été saisi, s’est déclaré compétent – rejetant une exception d’incompétence de la société italienne – et a tranché le litige. La cour d’appel de Paris, saisie à son tour, posait une question préjudicielle à la CJUE sur le fondement du règlement dit Bruxelles 1bis concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Selon ce règlement, en matière délictuelle, le tribunal compétent est celui du lieu de survenance du dommage. Mais sommes-nous bien en matière délictuelle en cas de rupture brutale ? C’est le sens de la question préjudicielle posée.

Nature contractuelle du contentieux

Pour la CJUE, les termes de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle ou quasi délictuelle » ne sauraient être compris comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale. Ce préalable étant posé, la CJUE répond le 14 juillet 2016 qu’« une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date […] ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle […] s’il existait entre les parties une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

A fortiori en va-t-il ainsi en cas de contrat écrit. Comme c’était prévisible face à une telle onde de choc, les juridictions françaises semblent se chercher à présent. Dès le 18 janvier 2017, la Première Chambre de la Cour de cassation admettait, dans un litige entre une société française et une société anglaise, que la clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises devait recevoir application. Mais plus récemment, la Chambre commerciale affirmait, le 1er mars 2017, que l’article L442-6 du Code de commerce attribuant le pouvoir juridictionnel à l’un des huit tribunaux désignés par décret ne pouvait être mis en échec par une clause attributive de juridiction.

Maître Didier LE GOFF

Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016 une structure dédiée à l’entreprise et à l’écoute de ses besoins, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’Université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire (Sico/mise en marché/structures/responsabilité civile ou pénale/étiquetage facturation/CGV/contrats d’affaires…) tant en droit national qu’européen ou international.

dlegoff.avocat@gmail.com – 18, av. de l’Opéra 75001 PARIS – www.dlegoff-avocat.fr

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