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« Qui tient la norme, tient le marché »
Bien présente à l’ISO, organisme international de la normalisation, la France se trouve de plus en plus concurrencée notamment par les Etats-Unis, la Chine et l’Inde. Les experts français sont appelés à rester mobilisés car écrire les normes est un véritable enjeu économique.



« Celui qui tient la norme tient le marché », estime Jean Hyenne, directeur adjoint d’Afnor-Normalisation, organisme chargé du système français de normalisation et de sa promotion. Une enquête sur les impacts économiques de la normalisation le montre bien. Celle-ci serait à l’origine du quart de la croissance du PIB français, soit l’équivalent de 16 milliards d’euros. Les chefs d’entreprises dans leur majorité le reconnaissent. Ils se sont fortement mobilisés pour répondre au questionnaire de l’Afnor. En moyenne, 66 % d’entre eux considèrent les normes davantage comme un bénéfice que comme un coût (sur 1 800 réponses une trentaine émanait des IAA). « Ce sont surtout les entreprises les plus innovantes qui croient en la normalisation. Leurs dirigeants estiment qu’il s’agit-là d’un critère de différenciation qui favorise les collaborations tout en établissant les règles de concurrence notamment à l’export », détaille Jean Hyenne.
PARTICIPER À L’ÉLABORATION
L’enjeu majeur de la normalisation pour une économie mûre comme celle de la France selon lui, réside dans sa contribution au déplacement de la frontière technologique, favorisant la croissance par le progrès technique. Mais aussi dans son rôle de facilitateur du processus d’innovation par la diffusion des connaissances issues de la recherche.
Si d’aucuns jugent toutefois ces démarches ardues et parfois subies, d’autres mesurent l’importance de participer à l’élaboration des normes. Ainsi les Etats-Unis tentent de s’imposer de plus en plus dans l’ISO, notamment dans le sous-comité microbiologie où la France a le leadership aujourd’hui. Ils viennent de prendre la main sur le groupe en charge de l’établissement des méthodes de détection des OGM, depuis l’origine sous responsabilité française, avec l’intention de faire évoluer ces normes internationales en leur faveur.
De même pour les Chinois qui ont pris la responsabilité du sous-comité sur les céréales ainsi qu’un nouveau groupe de travail sur la gelée royale « Les pays tentent de se positionner pour gagner des parts de marché », souligne Nadine Normand, responsable du département agroalimentaire, santé et action sociale à Afnor-normalisation, en précisant que 90 % des normes concernent les méthodes d’analyses en agroalimentaire. Et si la majorité des normes est élaborée à l’international, certaines normes sont encore développées au niveau national dans le secteur agroalimentaire. La collection française des normes du secteur agroalimentaire compte 1 500 normes. « Aujourd’hui, 66 % des normes françaises transposent des normes européennes et internationales. L’application d’une norme est volontaire. Cependant, un Etat peut la rendre d’application obligatoire », remarque Nadine Normand.
Ainsi 300 normes sont obligatoires en France dont une trentaine se rapporte aux engrais et amendements agricoles.
UN OUTIL D’APPUI À LA RÉGLEMENTATION
« Les normes ont été développées avec toutes les parties prenantes dont les acteurs économiques pour garantir la loyauté des échanges, lutter contre les distorsions de concurrence et les entraves aux échanges. Elles constituent aussi un élément de présomption de conformité aux exigences réglementaires de sécurité. Pour les entreprises, c’est un avantage car elles sont plus faciles à faire évoluer que la règlementation ».
En poussant à leur adoption pour décrire les moyens associés permettant de répondre aux exigences réglementaires, l’Etat limite le volet réglementaire aux exigences essentielles. C’est le principe de la nouvelle approche mise en oeuvre par l’Europe dans le « paquet hygiène ». En microbiologie des aliments par exemple, le recours à des méthodes d’analyse autres que celles de référence normalisées est autorisé par le règlement n° 2073/2005 lorsque ces méthodes sont testées selon le protocole normalisé pour la validation des méthodes alternatives (norme EN ISO 16 140 de 2003 en cours de révision actuellement).
En définitif, le moyen le plus sûr de maîtriser le contenu des normes est de s’y impliquer. Les entreprises françaises l’ont bien compris et sont très actives à la FIL (Fédération internationale de laiterie), qui représente l’expertise française à l’ISO. En France, elles participent aux travaux de l’Afnor qui élabore les normes, réalise leur publication, leur diffusion et leur promotion, anime le système de normalisation (mission confiée par les pouvoirs publics) et un réseau de 20 000 experts, participe aux structures européenne (CEN) et internationale (ISO) de normalisation. Tout semble cadré, mais rien n’est plus fragile. Nous sommes dans un monde en changement et les places prises par la France lui sont de plus en plus disputées. Le défi réside dans la capacité des entreprises à continuer à pourvoir le système en experts. Le prix à payer pour rester dans la course.
un décret révisé du 16 juin 2009 décrit les missions de l’Afnor concernant la normalisation
RITA LEMOINE
QUESTION A
« PARTICIPER À UNE COMMISSION DE NORMALISATION PERMET DE MIEUX FAIRE VALOIR SES INTÉRÊTS »
RLF: Vous êtes experte à la commission de normalisation Afnor V04A consacrée aux laits et produits laitiers. En quoi consiste votre travail ?
Anne-Sophie Guillard - L’activité de notre commission, qui a vocation à élaborer des documents normatifs sur les méthodes d’échantillonnage et d’analyse physico-chimique du lait et des produits laitiers, est rythmée par quatre réunions annuelles où l’ordre du jour consiste généralement à se mettre d’accord sur les termes des normes en cours de création ou de révision. Entre ces rendez-vous, nous participons à des comités électroniques qui permettent de peaufiner les documents. Jusqu’à la réunion suivante où nous faisons la synthèse des commentaires reçus et nous votons sur l’opportunité d’en tenir compte ou pas.
RLF: Quel est le dernier projet sur lequel vous avez travaillé ?
A-S G - Nous menons toujours plusieurs projets de front. Pour n’en citer qu’un, nous avons l’an dernier établi un fascicule de documentation (FD VO4-35) sur la détermination du pH du lait et des produits laitiers qui fournit des recommandations pratiques sur des points comme l’étalonnage ou l’entretien des électrodes. En fait, il apporte des informations permettant de comprendre et de gérer les perturbations dues à la température du lieu où sont effectuées les mesures (laboratoire, cave d’affinage, chambre froide…) et de prendre en compte les interférences propres aux matrices laitières, notamment celles liées aux protéines.
RLF: Quels sont pour votre entreprise les bénéfices tirés de votre participation à une commission de normalisation ?
A-S G - En participant à cette commission, nous pouvons faire valoir nos points de vue, notre expertise et notre pratique du terrain. Notre participation nous permet par ailleurs d’échanger avec nos pairs. Lors des réunions d’experts, nous sommes fréquemment amenés à constater que nous partageons les mêmes préoccupations au même moment. Le fait de répondre à ces besoins communs par des référentiels communs, pour les uns nationaux pour les autres européens ou internationaux, permet de faciliter les échanges commerciaux, ce qui est naturellement un enjeu important pour un groupe international comme le nôtre.
PROPOS RECUEILLIS PAR HANNE-LYS MEYER