Porc : l’embellie attendra
Lorsqu’on lui demande quelle sera la tendance de prix du porc pour l’année 2009, Jean-Pierre Joly esquisse un sourire embarrassé. Le prix cette année sera fonction de « la combinaison de nombreux facteurs : l’offre dans l’Union européenne et dans le monde, la concurrence des viandes de bœuf et de volaille, la situation économique globale, l’évolution de la parité des monnaies… », dit le directeur du Marché du porc breton (MPB) à Plérin dans les Côtes d’Armor, dont les deux cotations hebdomadaires établissent le prix de référence du porc vif en France. En somme, même une boule de cristal n’y verrait rien.
Tant d’incertitude de la part d’un des plus fins observateurs du marché du porc ne rassure guère les éleveurs français, en situation de crise grave. À l’appel de la Fédération nationale porcine, ils ont manifesté leur colère, mercredi 22 avril à Saint-Brieuc (Côtes d’Armor), pour réclamer de l’Europe qu’elle réactive les mécanismes de soutien à la filière (restitutions à l’exportation en particulier). La commission européenne a refusé.
En 2007 puis en 2008, les éleveurs ont travaillé à perte. La première année, en raison d’un cours moyen particulièrement bas, la seconde en raison de l’explosion du coût alimentaire, malgré un prix moyen du kilo de 1,39 euro (prix de base de 1,26 euro plus primes), le deuxième prix moyen du Marché du porc en dix ans. « Un atelier moyen produisant 5 000 porcs charcutiers par an, on peut estimer que la perte annuelle tourne autour de 60 000 euros par an avec une perte par tête de 12 euros », explique Jean-Jacques Riou, président du MPB.
Le prix de l’aliment est retombé à un niveau plus acceptable sur le second semestre, mais le prix du porc payé aux éleveurs, actuellement autour de 1,20 euro du kilo, couvre à peine le coût de revient. Le niveau d’endettement des éleveurs atteint des sommets. « Entre 15 et 20 % des éleveurs(8 000 dans l’Ouest, ndlr) ont un niveau d’endettement supérieur à 100 %, constate Georges Douguet, économiste au centre d’économie rurale des Côtes d’Armor, référent en production porcine. Pour se désendetter, il faudrait un prix moyen de 1,35 euro du kilo en prix de base pendant trois ans. C’est-à-dire qu’en période de forte demande comme l’été, le prix devrait atteindre 1,50 à 1,60 euro. »
Des prix bas tant que la crise persistera ?
Dans la tourmente de l’exercice 2008, plusieurs indicateurs laissaient à penser que le marché repartirait à la hausse en 2009. D’abord, la production mondiale (96 millions de tonnes, en hausse de 2,1 % l’an passé) a été stimulée par une forte demande des pays importateurs : Japon, Extrême-Orient, Russie, Pays de l’Est et Amérique centrale. « L’export a eu en 2008 une influence majeure (sur l’évolution du prix de base, ndlr) aux USA et en Europe », observe le Marché du porc breton.
En Europe, partout les prix moyens payés aux producteurs ont augmenté, entre 2007 et 2008, de 13,06 % au MPB jusqu’à 16 % aux Pays-Bas. En outre, le marché du porc se déroulait sur des bases saines, sans stock. « La production correspondait parfaitement à la demande », relève Jean-Pierre Joly. Autre facteur de confiance, la baisse de la production en Europe (- 1,3 % en 2008, à 254,5 millions de porcs) augurait une remontée des cours.
Mais la crise économique mondiale a tout remis en question. Des monnaies ont perdu de leur valeur, contribuant à rendre les producteurs plus compétitifs ou les acheteurs moins riches. Les principaux importateurs mondiaux ont réduit leurs achats. « Les prix risquent de rester bas tant que la crise économique persistera, et que la demande mondiale sera en berne », estime Jean-Pierre Joly.
Le Marché du porc breton ne se contente pas de faire le dos rond en attendant l’embellie. Le directeur Jean-Pierre Joly et son président, Jean-Jacques Riou, plaident pour qu’un plus grand nombre de cochons soient présentés à la vente au MPB. En 2008, le prix du porc vif a été établi par la vente de 64 600 cochons par semaine, alors qu’il s’en abat entre 380 000 et 400 000 par semaine sur la zone Uniporc Ouest. « Nous avons ce débat depuis la création du marché en 1972 », se désole M. Joly.
Jean-Jacques Riou souhaite que l’interprofession du porc en France (Inaporc) puisse un jour convaincre les grands distributeurs de mieux répartir les marges. « Il faudrait que les promotions soient au maximum de 50 % moins chères sur le fond de rayon », déclare-t-il. Le Marché du porc breton envisage également de proposer aux acheteurs (8 abatteurs dont 4 cumulent à eux seuls 80 % de l’activité) de réduire le plafond des baisses autorisées lors d’une seule séance. Elles sont actuellement fixées à 2 centimes le lundi, 5 le jeudi. Enfin, les groupements « vendeurs » au MPB réfléchissent sérieusement à la possibilité de refuser la vente de lots s’ils jugent que le prix proposé par les acheteurs est trop bas.
Dernière minute :les professionnels français s’inquiètent des répercussions éventuelles de la grippe improprement qualifiée de porcine (elle est humaine) sur les échanges et la consommation. Si la crise a eu des effets sur les marchés très volatils des céréales et du soja, les cotations de Plérin sont restées stables, lundi 27 avril. Le marché a terminé à 1,20 euro le kg, comme la semaine précédente. Les éléments extérieurs n'ont pas eu d’influence.