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Oser l’usine interconnectée

Le numérique s’impose. Les outils se multiplient. Les propositions commerciales aussi, alors que les données sont au cœur des tractations. Dans les usines laitières, la méfiance est de mise : la sûreté informatique ne se négocie pas.

Les usines laitières sont-elles des usines 4.0 en devenir ? Qu’est-ce que cela suppose en termes de compétences, d’outils, d’organisation ? Quelle sera la place de l’homme dans cet environnement ? Mais avant tout, de quoi parle-t-on quand il s’agit de l’usine du futur ? De la digitalisation, du numérique, de l’intelligence artificielle ?

« L’usine du futur est une usine numérisée qui permet une interconnexion entre les machines de production, les collaborateurs, les fournisseurs et les clients », explique Jacques Renault expert en excellence opérationnelle et transformation digitale. Si une étude de PWC menée en 2016 montre que l’intégration de la numérisation dans les usines est amenée à passer de 35 % à plus de 70 % avec l’espoir de gagner en efficacité et compétitivité, ce taux d’adhésion semble loin des préoccupations des PME. Ce que constate Fabienne Fel, professeur en management des opérations et supply chain à ESCP Europe : « les PME, quel que soit le secteur d’activité, estiment qu’elles ne sont pas encore concernées et pensent s’y mettre dans 5 voire 10 ans, selon une étude de BPI le Lab sortie en septembre dernier ». Cette enquête, réalisée en septembre 2017 auprès de 1 800 dirigeants de PME et ETI et une vingtaine d’entretiens avec des dirigeants, montre que 87 % d’entre eux n’en font pas une priorité stratégique pour leur entreprise.

Or, « le futur cogne aux portes des usines », remarque Jacques Renault. Il devient de plus en plus difficile de s’en soustraire car les avancées technologiques progressent à un rythme soutenu notamment chez les clients de l’industrie agroalimentaire. « Les marchés sont en train de changer pour passer de produits de masse à des produits individualisés avec plus de valeur ajoutée. Les cycles de vie des produits raccourcissent et l’innovation affiche un rythme plus accéléré. Les outils de production doivent évoluer en parallèle pour accélérer la mise sur le marché, monter en flexibilité mais aussi en efficience », explique Zied Chakroun, responsable du développement de la branche agroalimentaire de Siemens, le leader mondial de solutions d’automatisme. Un fait nouveau, on voit arriver dans les entreprises laitières, des équipes dédiées à la transformation numérique. Après avoir créé au sein du groupe Bel un laboratoire représentant l’usine laitière 4.0, Xavier Texier vient ainsi de prendre le poste de responsable technique et ingénierie industrielle chez CF&R. Le modèle qu’il défend est simple, sécurisé et peu gourmand en investissement.

 

DONNER DE LA VALEUR AUX DONNÉES

« Dans leur grande majorité, les usines laitières sont automatisées essentiellement sur la partie process du fait de la nécessité de travailler en continu. Ceci est moins vrai côté conditionnement qui peut fonctionner en batch. Même si les rendements sont élevés du fait de cette automatisation, on peut aujourd’hui aller plus loin en connectant les machines, les automates, les robots, au réseau informatique industriel. L’objectif est de faire remonter les données disponibles afin de les analyser et d’optimiser la production. » C’est cette interconnexion qui fait aujourd’hui défaut. « L’information technique est disponible mais elle n’est pas exploitée. C’est la valorisation de ces données qui constitue l’enjeu de demain », confirme Éric Delacour, responsable grands comptes industrie agroalimentaire chez Siemens France. « On ne recueille pas de la donnée pour la stocker. On la recueille pour la travailler, pour la rendre utile. Pourquoi digitaliser votre usine ? Il faut savoir où vous souhaitez aller », ajoute Jacques Renault.

Les données se trouvent ainsi au centre des tractations entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et les laiteries. Comment capter ces gisements de données/informations, les analyser et les renvoyer aux opérateurs ? Et qui prend le contrôle ? Voici le nerf de la guerre.

Pour Xavier Texier, il faut traiter les données captées au sein de l’entreprise. Selon lui, ceci peut se faire simplement avec quelques câblages et une base de données. Le fait maison est une garantie de sécurité informatique et de maîtrise, d’autant que les entreprises de l’agroalimentaire sont soumises aux exigences du Food Defense. « On crée une tour de contrôle. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Avec un accès rapide aux informations en temps réel. Les réseaux traditionnels suffisent. Le ticket d’entrée pour un atelier peut se limiter à 50 000 euros », rassure-t-il. Avant toute chose, il propose d’écrire les règles et de définir l’architecture de cette connexion. « La technique a pris le pas sur les besoins. Il faut savoir quel est le gain recherché grâce à l’analyse des données en relation avec les experts production (maître fromager, beurrier, responsable qualité…) qui sont encore aujourd’hui dans nos murs. » L’équipe idéale serait constituée d’un data scientist, d’un automaticien, d’un informaticien et de spécialistes métiers. Celle-ci devrait avoir un fonctionnement transverse et non en silos travaillant comme une start-up au sein de l’entreprise. Il apparaît donc clairement qu’à l’ère de l’intelligence artificielle, le rôle de l’humain reste central. « Je mène un travail de recherche sur les conditions favorables à la digitalisation dans le périmètre usine et maintenance. J’ai constaté dans cette étude que le passage à la digitalisation fonctionne bien quand la responsabilisation est déjà présente sans trop de hiérarchie ou quand le lean-management est pratiqué. Si l’opérateur est associé, il se sent valorisé, son travail se trouve enrichi et son emploi lui apparaît plus sécurisé. Par ailleurs, ceci fait aussi tomber la résistance au changement, détaille Fabienne Fel. Cette responsabilisation et l’accès à des outils décisionnels modernes pourraient attirer à nouveau les jeunes vers le monde de l’industrie. »

 

LA DIGITALISATION POUSSE À LA RESPONSABILISATION

À l’heure de la vogue des circuits courts, des produits vrais, authentiques, issus de circuits courts quelle peut être la perception des consommateurs de l’usine 4.0 ? L’assimileront-ils à une marche supplémentaire dans les processus d’industrialisation qu’ils disent exécrer en général ? La réflexion est engagée mais une chose est sûre, le numérique peut aussi rassurer. C’est tout l’objet de la blockchain alimentaire initiée par Carrefour qui se propose de révéler en toute transparence les coulisses de la fabrication des produits depuis l’agriculteur jusqu’au magasin en passant par les usines. Une nouvelle façon de faire de la traçabilité qui pose encore une fois la question de la propriété des données.

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