« Nous produirons du bioéthanol à partir de cellulose dès 2008 »
Les Marchés : Vous êtes actuellement en Europe pour votre European Lecture Tour, une série de conférences dans 39 pays depuis le 12 février et jusqu’au 23 mars, avant d’aller en Afrique du Nord. Sentez-vous des différences d’appréciation face aux biotechnologies dans les différents pays ?
Pearse Lyons : Non, les industriels de l’alimentation animale que nous rencontrons dans chacun de ces pays ont trois préoccupations principales, identiques : l’augmentation du coût des matières premières, la santé animale avec la réduction des autorisations d’utilisation de produits et les mycotoxines.
Nous proposons des solutions dans les trois cas, avec notre technologie de fermentation à faible température pour accroître la disponibilité des nutriments ; avec le Selplex, la première levure au sélénium autorisée dans l’Union européenne depuis décembre 2006, qui permet d’apporter du sélénium naturel aux animaux sous une forme plus biodisponible, sans la toxicité de la sélénite de sodium et avec le mycosorb qui adsorbe les mycotoxines.
LM : En quoi les biotechnologies pour la nutrition animale, votre cœur de métier, peut-il répondre aux défis énergétiques ?
PL : Notre point de vue n’est pas forcément l’énergie, mais la disponibilité de matières premières pour l’alimentation animale. Ainsi, le monde produit 600 millions de tonnes d’aliments pour animaux. L’émergence des pays d’Asie, notamment la Chine, impose de trouver des solutions pour en produire rapidement plus du double afin de fournir assez de viande. Or, les capacités de production de matières premières comme le maïs, le blé ou le riz ne peuvent se développer à ce point. Dans le même temps, la compétition pour les utilisations entre alimentation animale, énergie et alimentation humaine s’accroît, comme on a pu le voir au Mexique, où le gouvernement a bloqué le prix du maïs qui s’envolait. Ne serait-ce qu’aux Etats-Unis, remplacer 10 % de l’essence par de l’éthanol comme c’est prévu pour 2010, mobilisera 52 % des disponibilités américaines de maïs et produira, dans le même temps, 47 millions de tonnes de corn distiller. Il faut donc que les animaux puissent utiliser mieux ces coproduits, riches en protéines mais très variables en qualité.
LM : C’est tout l’intérêt des biotechnologies, n’est-ce pas ?
PL : Effectivement. Il y a plus de 4 000 ans, les Chinois se sont déjà trouvés face à ce défi d’une disponibilité réduite de protéines et de matières premières alimentaires de faible digestibilité. Ils ont développé le koji, une fermentation en phase solide (solid state fermentation ou SSF), utilisant des microorganismes. En 1995, Alltech a commencé à travailler sur ce procédé, mon fils Mark a d’ailleurs réalisé son phD sur ce sujet. Et nous avons ouvert en 2000 une usine au Mexique pour produire des enzymes à partir de ce procédé SSF, particulièrement utiles dans les formulations d’aliments pour animaux riches en coproduits et en fibres.
LM : Mais quel rapport avec les biocarburants ?
PL : La fermentation en phase solide permet de valoriser la cellulose, un gisement énorme, qui pourrait atteindre 1,4 milliard de tonnes simplement aux USA. Elle permet donc d’une part de rendre plus disponible des matières premières pour l’alimentation animale et, d’autre part, de produire du bioéthanol. Nous démarrons un investissement de 40 millions de dollars à Lexington (Kentucky) ou se situe notre siège, sur le concept de bioraffinerie. Mon idée est de rassembler la production de maïs, la matière première végétale, la production d’éthanol à partir de maïs (dont les coproduits partiront en alimentation animale) mais aussi de cellulose, la consommation et la production d’enzymes. La productivité d’une tonne de grains de maïs ou d’une tonne de cellulose est assez proche : 378 l pour le maïs contre 264 l pour la cellulose, mais les technologies n’existent pas encore. Il faudra attendre 20 à 30 ans. En attendant, nous proposons d’utiliser notre technologie pour mieux valoriser les coproduits dans la production d’énergie, et la cellulose consommée par les animaux. La première étape du projet démarre déjà, c’est la station de recherche aquacole qui sera à terme l’une des utilisatrices des aliments produits. Le site complet devrait être opérationnel mi-2008.
LM : Avec le selplex qui incorporé dans les aliments pour animaux aurait des effets bénéfiques sur le statut en sélénium des consommateurs des produits animaux et cette opportunité énergétique, Alltech va- t-elle se développer en dehors de l’alimentation animale ?
PL : Notre cœur de métier reste et restera l’alimentation animale. Les technologies que nous avons développées ont déjà trouvé des applications hors de la nutrition animale comme les levures en brasserie, un monde dont je suis issu, la microencapsulation de bactéries lactiques utilisées pour la production des glaces Dippin Dots, glaces officielles de Disney World en Californie… Pour les aliments fonctionnels, notre désir est de trouver des partenaires plus impliqués en nutrition humaine. Quant à l’énergie, nous n’avons pas vocation à renouveler ce genre d’investissement. Pourquoi pas, à terme, trouver des partenaires ou travailler sous licence ?