Nestlé et Lactalis, main dans la main dans les produits laitiers frais
En posant la semaine dernière les bases d’un regroupement de leurs activités produits laitiers frais, Nestlé et Lactalis ont quelque peu chamboulé le secteur. D’envergure européenne, la coentreprise (dont la création reste suspendue à l’accord des autorités de la concurrence) se placerait d’emblée à la deuxième place derrière l’intouchable Danone. Au total, une douzaine de sites sont concernés par cette mutualisation des moyens (5 usines Lactalis et 4 usines de Nestlé en France, plus 3 usines Nestlé situées à l’étranger), avec un chiffre d’affaires attendu de 1,5 Mds Eur.
Pour les deux groupes, la complémentarité des réseaux de distribution, de la logistique et de la recherche justifient la manœuvre : en perte de vitesse chronique sur l’ultra-frais, Nestlé entend reprendre des forces tandis que Lactalis s’ouvre de nouveaux marchés. « Au Royaume-Uni, nous n’étions présents qu’au travers des MDD, mais cette opération devrait nous permettre d’arriver dans le pays avec nos marques propres» justifie Luc Morelon, porte-parole de Lactalis pour qui le joint-venture devrait être opérationnel avant la fin du premier semestre 2006.
En phase d’expansion, le groupe de Laval n’a réalisé l’an dernier que 11 % de son activité dans l’ultra-frais (soit environ 600 M Eur sur un CA de 5,67 Mds Eur), contre la moitié des ventes dans les fromages. La marge de progression existe donc, dans un segment plus rémunérateur que les marques de distributeur où le Français est bien implanté. Le rapprochement des réseaux avec Nestlé, associé à sa puissance commerciale est une « bonne opportunité» et « une alliance de raison» selon M. Morelon, avec un portefeuille qui comportera entre autres les marques B’A, Bridélice, la Laitière, Sveltesse, Yoco, ou encore Fruttolo.
60% Lactalis, 40% Nestlé
Si les perspectives de croissance sont un motif de satisfaction légitime, la structure de la filiale commune en est une autre pour Lactalis, qui devrait en contrôler 60 % contre 40 % pour la firme suisse. Bien qu’aucune déclaration n’ait été faite à ce niveau, ce déséquilibre laisse la porte ouverte aux spéculations sur le désengagement progressif de Nestlé du secteur. Dans son communiqué, le groupe de Vevey explique que la création de la coentreprise est un pas significatif « dans la transformation de Nestlé vers la nutrition, la santé et le bien-être ».
Mais dans les faits, les sessions de sites français réalisées tout azimut (Mont Blanc, Gloria, Chambourcy, petfood) laissent planer l’incertitude. Hervé Leroy, délégué syndical central Nestlé de la CFTC est « très inquiet » pour les sites de Lisieux (Calvados, fromages frais) et d’Andrézieux (Loire, spécialisé dans le yaourt à marque Sveltesse). L’inquiétude est de mise pour l’ensemble des sites Nestlé spécialisés dans l’ultra-frais, mais ces deux-là en particulier car ils entrent en concurrence directe avec les sites de Lactalis. Les usines de Quincy (Nord, desserts cuits au four) et Vallet (Loire atlantique, mousses et viennois) sont moins visés, mais « avec la répartition 60%/40%, c’est le petit qui mange le gros, et on voit mal Lactalis se séparer de ses propres usines » poursuit M. Leroy. Une fois accepté par les autorités de la concurrence, le rapprochement de Nestlé et Lactalis pourrait donner le coup d’envoi d’une vaste redistribution des cartes.