Nanotechnologies : faut-il avoir peur de demain ?

Un avis de l’EASA le 5 mars, un autre de l’Afssa attendu incessamment, des recommandations en attente de vote tant au Conseil national de la consommation (8 juin) qu’au Conseil national de l’alimentation (10 juin)… : les nanotechnologies dans l’alimentation font et feront beaucoup parler d’elles ce printemps.
Pourtant, Jérôme Bibette a déposé les premiers brevets pour « les émulsions doubles » dès 1996, comme le rappelle Dorothée Benoit-Browaeys (VivAgora), dans son ouvrage paru en mars chez Buchet-Chastel, Le meilleur des nanomondes. Cette technologie permet au chercheur de l’ESCPI (École supérieure de physique et chimie de Paris) de « capturer » les goûts dans des billes de saveur, en partenariat avec le cuisinier Thierry Marx.
La normalisation internationale, qui vient de produire un standard (Iso/TS 27687 : 2008), est en marche depuis 2005. Pour elle, une nanoparticule mesure moins de 100 nanomètres (nm) dans au moins une de ses dimensions et elle est dotée de nouvelles applications en raison même de ce « nanisme ». Le lycopène de BASF deviendrait par exemple hydrophile alors qu’à l’échelle « micro » le carotène est lipophile Un produit est dit hydrophile lorsqu’il absorbe ou retient l’eau, à la différence d’une substance lipophile qui, elle, « aime » la graisse et les lipides. Sur l’inventaire des produits contenant des nanomatériaux (http://www.nanotechproject.org/inventories/consumer), la France n’apparaît que dans la production de raquettes de tennis et de cosmétique, quand l’Allemagne apparaît dans tous les champs de recherche, des suppléments alimentaires aux vêtements intelligents..
Nouveaux, les « nano-foods » tombent naturellement sous le coup de la réglementation « Novel Food » mais, pour l’instant, aucun dossier n’aurait été déposé en Europe : il ne se trouverait donc pas de tels produits dans l’UE.
Le cabinet Helmut Kaiser Consultant, qui travaille sur le suivi de ces marchés depuis les années 90, estime cependant que le marché international des nano-foods (ingrédients, technologie alimentaire, emballages) est passé de 2,6 à 5,3 milliards de dollars entre 2003 et 2005. Il pourrait atteindre 20,4 milliards de dollars en 2010, dont 3,7 milliards pour les seuls emballages. Il compterait aujourd’hui plus de 300 produits sur les marchés et les rayons du monde. Fin août 2008, le PEN (Project on Emerging Nanotechnologies) en recensait quant à lui 84 dont certains européens, les Allemands étant particulièrement actifs comme Aquanova et son Novasol (procédé d’encapsulation des molécules en micelles).
Des applications à foison dans l’alimentaire
Anne Théobald (EFSA) reconnaît cinq domaines d’application dans la chaîne alimentaire : l’emballage pour l’extension de la durée de vie (par des antimicrobiens comme le nano-argent ou la modification de la perméabilité aux gaz, grâce à des oxydes de métal ou des nano-argiles) ; les aliments fonctionnels (« nano-ceuticals ») ; le goût et la texture (fabrication de gels, réduction du taux de matières grasses des glaces) ; les pesticides (molécules incluses dans des nanocapsules) ; la santé animale (amélioration de l’absorption des vaccins). La sécurité alimentaire est également intéressée, que ce soit pour capter les mycotoxines, identifier les contaminations (ADN de noisette dans les céréales) ou pour doser les pathogènes : le laboratoire du professeur Giuseppe Palleshi (université de Rome) est ainsi capable de détecter des salmonelles en 5 heures au lieu de 5 jours…
Des incertitudes demeurent
Face à de tels potentiels, les consommateurs se montrent cependant inquiets, les experts n’ayant pas toujours la réponse face aux dangers (inhalation, contact avec la muqueuse digestive, modification de la cinétique d’absorption…). La Commission européenne a donc demandé à l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) si les méthodes actuelles d’évaluation des risques pouvaient s’appliquer aux nanomatériaux manufacturés. Le rapport, rendu le 5 mars, conclut positivement sur ce point mais souligne qu’une approche au cas par cas sera nécessaire, les données étant très limitées. L’impact au niveau gastro-intestinal constitue par exemple un vrai sujet complémentaire des études classiques de toxicologies. La direction générale de la Santé a quant à elle saisi l’Afssa le 28 juin 2006 puis le 2 août 2006 : le rapport serait à la relecture finale et recommanderait la prudence. Enfin, l’appel aux citoyens s’inscrivant dans la nouvelle gouvernance sociétale, un débat public est programmé à l’automne par la Commission nationale du débat public.