L'écotaxe fait l'objet d'une remise à plat parlementaire

Bernard Cazeneuve (bureau central, à gauche), ministre du Budget, lors de l'audition de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'écotaxe, animée par Jean-Paul Chanteguet (à droite), président de la commission Développement durable.
Reviendra ou ne reviendra pas? La suspension de l'écotaxe, annoncée en octobre par le Premier ministre, nourrit des espoirs d'enterrement. Ainsi le député (UMP) des Côtes-d'Armor, Marc Le Fur, et 80 collègues avaient déposé dès le 23 octobre une proposition de loi « visant à supprimer l'écotaxe poids lourds ». L'écotaxe « ne constitue pas une mesure pertinente dans “ la boîte à outils ” destinée à permettre le retour à la croissance », énonce le projet de suppression, au moment où les régions de l'Ouest vivent une « crise sans précédent des secteurs agricoles et agroalimentaires ». Quant aux alternatives à la route, que l'écotaxe est censée encourager, « on y pense qu'à partir de 300 km » considère Marc Le Fur. Les élus mentionnent la cherté du gasoil et l'instauration d'une « taxe carbone » dans le projet de loi de Finance pour 2014. Deux semaines après cette proposition de loi anti-écotaxe, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a monté une mission d'information sur le sujet. Auditionné, le président de la FNTR (Fédération nationale du transport routier) a déclaré l'écotaxe « incompatible » avec la situation des entreprises françaises de transport. Les transporteurs, un temps soulagés d'avoir obtenu la majoration forfaitaire des contrats, prennent aujourd'hui la défense de leurs clients, victimes selon la FNTR de «cette redevance frappant la mobilité sur moyenne distance », qui « surenchérit le coût d'acheminement, de fabrication, de transformation et de distribution ».

> Hélène des Esgaulx, présidente de la commission d'enquête du Sénat.
DRL'écotaxe, si elle s'applique, accusera un retard de plusieurs mois, voire d'un an ; n'en déplaise aux collectivités en attente de leur part d'écotaxe, et à la députée Marie-Jo Zimmermann (UMP de Moselle), réclamant une mise en application au 1er juillet 2014. Alors que seuls 190 000 camions sont équipés en boîtier GPS, le gouvernement entend renégocier le contrat de partenariat public-privé qu'il a signé avec le consortium Écomouv' (en particulier les cadences et montants des loyers). Une commission d'enquête du Sénat, présidée par Marie-Hélène des Esgaulx (UMP de Gironde), avec comme rapporteur Virginie Klès (sénatrice d'Ille-et-Vilaine) se penche sur le bienfondé juridique et économique de ce partenariat. Reste à savoir quand l'État accusera réception du dispositif. Marie-Hélène des Esgaulx s'est demandée si ce délai ne donnerait pas à Écomouv' le moyen de camoufler des retards.
Bernard Cazeneuve, ministre du Budget, a été entendu le 15 janvier dernier par la mission d'information de l'Assemblée nationale. Se défendant de vouloir conserver l'écotaxe, il souligne toutefois que son abandon ferait perdre à l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afitf) 800 millions d'euros annuels (pour un budget global de 2,2 milliards d'euros prévus). Cela « nécessiterait alors de revoir les priorités de la politique des transports », a expliqué le ministre. Parmi ces priorités figurent l'amélioration de la mobilité et les transports propres dans les agglomérations.
200 millions d'euros pour les transporteurs étrangersBernard Cazeneuve invite les députés à la discussion du budget 2014 de l'agence, le 6 février. Ce budget « prévoit une majoration de sa subvention », a rassuré le ministre, mais il implique « des redéploiements au sein du budget de l'État ». Le député socialiste Philippe Duron, président de l'Afitf, a glissé qu'une partie des camionneurs s'opposait à l'écotaxe en raison de concurrents étrangers pratiquant le cabotage et employant des travailleurs détachés, en raison aussi de la « négociation asymétrique entre transporteurs et chargeurs ». Bernard Cazeneuve a répondu que l'écotaxe sera payée par les transporteurs étrangers à hauteur de 200millions d'euros. Le ministre a souligné par ailleurs que la taxe à l'essieu a été abaissée à un niveau proche du minimum communautaire et que le Cice (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) devrait compenser l'effet de la contribution climat-énergie (dite taxe carbone). D'autres éléments seront pris en compte, apprend-on de la FNTR : la mise en œuvre du plan français de modernisation et de compétitivité pour la route et le renforcement de la lutte contre le cabotage illégal, que Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, a demandé à la Commission européenne. Une Conférence européenne des ministres européens du Transport pourrait s'organiser au printemps sur le transport routier.
La mission d'information de l'Assemblée nationale passe en revue une variété de réformes envisagées par les élus. Il ressort que l'alternative d'une taxe sur la valeur ajoutée ou une augmentation de la Tipp (taxe intérieure sur les produits pétroliers) aurait l'inconvénient de n'être pas réglée par les étrangers. En cas de maintien de l'écotaxe, éliminer les portiques, qui sont de simples outils de contrôle, n'est pas envisageable par la puissance publique, car ils permettent de détecter des fraudes. La gestion par les régions de l'écotaxe « poserait peut-être un problème constitutionnel », a par ailleurs supposé Bernard Cazeneuve. Le ministre du Budget y voyait aussi une entorse à la solidarité entre départements et « une perte de cohérence globale de nos politiques publiques ». L'exonération des camions de moins de 12 tonnes ferait exploser la flotte des plus petits gabarits, au détriment de l'environnement, selon ” le président de la FNTR. En outre, elle serait incompatible avec la nouvelle directive Eurovignette applicable en 2014, qui préconise l'alignement de traitement à partir de 3,5 tonnes.
“ La gestion par les régions de l'écotaxe « poserait peut-être un problème constitutionnel »
Bernard Cazeneuve a concédé que l'exonération des transports d'animaux serait en revanche « examinée avec bienveillance ». Il a admis la présence d'« angles morts » dans la majoration forfaitaire et l'importante contribution des entreprises utilisant beaucoup les axes taxés. « Sans doute faudra-t-il trouver des solutions pour répercuter l'écotaxe, notamment sur leurs acheteurs de la grande distribution », a-t-il risqué.