« Le carburant vert a ouvert la concurrence des hectares »
Les Marchés : Quel intérêt y a-t-il, à considérer la perspective d’un surplus de tourteau de colza dès 2008 ?
Patricia Le Cadre : Le boom des biocarburants entraîne une concurrence pour les hectares cultivés, une concurrence pour les débouchés, alimentaires et industriels, une concurrence pour le type même d’énergie développée, éthanol ou biodiesel, enfin une concurrence en alimentation animale entre matières premières et coproduits.
En Europe, la montée en puissance du biodiesel est avant tout affaire de colza. Pour le fabricant français d’aliments composés, cela va se traduire concrètement par la mise en service de deux nouvelles usines de trituration (Montoir et Le Meriot), qui alimenteront le marché en tourteaux de colza à hauteur de 800 000 tonnes supplémentaires en 2008. D’autres ateliers, plus petits, permettront aussi de fournir plus de coproduits très bientôt.
Les prix des matières premières agricoles ont très nettement progressé sur la campagne en cours, sans qu’aucun produit ne soit épargné, car au jeu des substitutions en formulation, les écarts de prix s’optimisent aussi… Un surplus en tourteau de colza peut donc être considéré comme une opportunité locale intéressante, au moment où les matières premières concurrentes se font moins accessibles. Pour autant, son succès futur dépendra de plusieurs critères incontournables comme le maintien de son caractère non OGM et comme l’absence de salmonelles. Attention aussi aux volumes réellement disponibles à terme. La trituration reste affaire de marges et donc d’optimisation entre les différentes graines oléagineuses disponibles.
L’estérificateur peut aussi se reporter sur des huiles d’importation. On voit d’ailleurs un regain d’intérêt sur le soja depuis quelques mois dans les usines européennes portuaires. Enfin les exportations de tourteaux de soja ont encore un bel avenir. Ce sera notamment le cas à partir des Etats-Unis et de l’Argentine qui, contrairement au Brésil, auront du mal à le valoriser davantage sur leur marché intérieur. Le soja ne devrait donc pas céder sa place aussi facilement au colza. De quoi ravir les fabricants, qui ont besoin de choix… et de prix.
LM : Parmi les nouvelles problématiques, seront évoqués les comportements des fonds de placement. Sont-ils amenés à influencer davantage les cours en Europe ?
P. L. C. : Depuis fin 2001, on assiste à une abondance de capitaux longs sur les marchés financiers. Ce phénomène est lié non seulement à la montée en puissance des fonds de pension, mais aussi aux fortes réserves de change des banques centrales, au cash disponible des grandes entreprises et aux besoins d’emprunt limités des États américains et européens. Les investisseurs, qui souhaitent diversifier leur portefeuille, se sont portés sur les matières premières, devenues une classe d’actifs à part entière au travers d’Index comme les CRB, Dow Jones Index ou Goldman Sachs Index. Dans ces paniers de produits, l’énergie (pétrole, gaz) est généralement majoritaire (de 30 % à 80 %), mais les métaux (non-ferreux et précieux) et les matières industrielles ont une part croissante.
Les matières alimentaires y ont encore une part minoritaire mais en forte augmentation. Le soja par exemple représente de 1 à 8 % de la valeur selon les indices. Cela suffit malgré tout à lier son sort au pétrole, au cuivre ou au nickel ! Si les fonds indiciels jouent la carte du long terme, d’autres comme les « hedge funds » ont des stratégies de court, voire très court terme. Ces derniers apportent donc une volatilité supplémentaire et amplifient fortement les tendances. Les fabricants d’aliments ne peuvent faire l’impasse sur ces nouveaux acteurs qui après avoir investi les marchés étrangers, s’intéressent au MATIF. Il ne faut cependant pas voir cette spéculation comme un danger, mais comme un apport de liquidité dont le marché à besoin. Il existe des clés pour suivre la position de ces investisseurs sur nos marchés.
Malgré tout, ne perdons pas de vue que ces marchés des commodités sont des marchés finis, contrairement aux autres marchés financiers. Le sous-jacent (c’est-à-dire la contrepartie physique des dérivés) répond à des fondamentaux qu’il ne faut pas oublier. Les produits agricoles, renouvelables par nature, ont des capacités de rééquilibrage supérieures aux énergies fossiles par exemple…
LM : La question du positionnement des fabricants d’aliments au sein des filières animales est souvent traitée à l’Aftaa…
P. L. C. : Nous l’évoquons depuis maintenant trois ans dans notre cycle marketing parce que l’alimentation animale doit redéfinir sa place au sein des filières. Parce que leur amont et leur aval sont en profonde mutation, les fabricants ne peuvent plus faire l’économie d’une reformulation de leur stratégie qui va au-delà des économies d’échelle encore réalisables…
Nous souhaitions consacrer notre traditionnelle table ronde des JMP à cette réflexion, même si notre public y est différent de la formation marketing. L’innovation et la recherche d’alliance entre acteurs des filières agroalimentaires nous semblent tracer la voie d’avenir. Or elle démarre avec l’approvisionnement en matières premières. Comment intégrer les nouvelles tendances du marché jusqu’à l’amont ? Qui doit être force de proposition dans les filières ? Nous devons en débattre ensemble. Cette réflexion sera d’ailleurs poursuivie le 13 décembre au cours d’une journée de réflexion * « Productions et filières agricoles : Création de valeurs et compétitivité durable sur nos territoires ». Séminaire de réflexion organisé par le CEREOPA (Olivier LAPIERRE, 01 44 08 17 77, olap@cereopa.com) au FIAP Jean Monnet à PARIS, le 13 décembre 2006.proposée par le CEREOPA, avec le soutien de l’Aftaa. Ce rendez-vous sera notamment l’occasion de réfléchir avec la grande distribution, à la restitution des informations collectées, via les cartes de fidélité, aux acteurs de l’agroalimentaire. L’heure est aux échanges d’idées, ne ratons pas ces occasions !