L'agriculture roumaine entre dans l'UE à reculons
Dans treize mois, la Roumanie de Traian Basescu, son nouveau président, fera le « grand saut » dans l'Union Européenne. Après une parenthèse de 40 ans de communisme (1948-1989), s'ouvre une nouvelle période de transition. Celle de l'adhésion à l'Union européenne. Après avoir frappé à la porte de l'Europe en juin 1995, le pays devrait en effet rejoindre les vingt-cinq le 1er janvier 2007. Pour la plupart des Roumains, c'est une entrée à marche forcée. Beaucoup ne sont pas prêts. D'autant plus qu'ils ont l'exemple hongrois tout proche, un pays en grande majorité déçu par son entrée dans l'Union. « Je ne sais pas si nous sommes préparés pour entrer tout de suite», reconnaît Christina, une jeune Roumaine de 28 ans qui prépare un doctorat en science de l'environnement et a joué le rôle de guide à notre délégation de journalistes français. Christina reconnaît avoir cherché à travailler après sa maîtrise, mais sans réelle opportunité, elle a poursuivi et réorienté sa formation.
« Vous sentez-vous plus heureux aujourd'hui qu'au moment de la période communiste?» A la question, on vous répond souvent en Roumanie: « oui, mais…» ou « hier, la vie était triste, mais simple». « Aujourd'hui, nous avons la liberté d'entreprendre, et cela a quelque chose d'inestimable», réplique un dirigeant d'une entreprise agricole, comme en écho aux sentiments contradictoires de la population à l'égard de l'Europe. De fait, de nombreux jeunes Roumains continuent de s'expatrier, en Autriche, en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne ou encore au Canada. Ils seraient environ 3 millions à avoir quitté le pays ces dernières années, dont bon nombre de «cerveaux» (notamment en informatique). Ils travaillent dur à l'étranger et reviennent en général quelque temps après pour construire leur maison. C'est un des critères de réussite en Roumanie. « Un Roumain qui a réussi est un Roumain qui a planté un arbre, fait des enfants et construit sa maison», souligne Christina.
Le 4x4 et la charrette à cheval
Pour mieux comprendre les déséquilibres du pays, il faut quitter Bucarest, Brasov, Cluj ou Timisoara pour aller à la rencontre des campagnes. Là-bas cohabitent la charrette à cheval et les plus luxueux des 4x4, à l'image d'une agriculture à deux vitesses. L'activité agricole en Roumanie concerne en effet plus de 40% de la population totale, dans laquelle cohabitent 4,3 millions de petites exploitations occupant 80% de la surface agricole utile et quelques milliers de grosses entreprises agricoles sur les 20% restants. Entre les deux, le fossé se creuse d'autant plus que les aides ont soutenu quasi exclusivement le développement des grandes structures issues des coopératives agricoles de production (ex-ferme d'État).
Il faut dire qu'après la révolution, certains anciens communistes ont largement profité de la privatisation et étalent leur fortune avec ostentation dans les grandes villes. A côté d'eux, une majorité de fermiers vit d'une agriculture de subsistance, avec une vache, un cochon, quelques poules et quelques ares de maïs pour nourrir le cheval. « Si tu es paysan et que tu possèdes un tracteur, c'est que tu es déjà haut dans la hiérarchie sociale», commente Christina.
Aussi, le virage pris par le nouveau gouvernement en matière agricole ne plaît pas à ceux qui se sont enrichis depuis 1989. Le ministère de l'Agriculture entend en effet favoriser désormais les structures agricoles de 15 à 20 hectares et y consacrer l'essentiel du budget agricole, au grand dam des grands agriculteurs qui exploitent parfois plus de mille hectares. En réaction, ces derniers menacent depuis peu de se diriger vers la capitale en tracteurs pour s'opposer aux projets agricoles du Premier ministre Calin Popescu Tariceanu.
Czier Tibor, directeur d'une ancienne ferme d'État rassemblant cinq coopératives implantées à Santau, dans le Nord-Ouest de la Roumanie, est un représentant de cette catégorie de gros agriculteurs. Betteravier le plus performant de Roumanie, Czier Tibor a repris l'exploitation de l'ex-ferme d'État avec Luckacs Alexandru, son associé et directeur technique, en s'appuyant sur 80 actionnaires. Les deux chefs d'entreprises ont réussi à convaincre une partie des anciens petits exploitants de la ferme de poursuivre l'exploitation des 2 500 hectares dont les terres appartiennent à 1 400 propriétaires différents. Avec le soutien du programme européen Sapard Le programme Sapard dans lequel l'UE alloue plus de 500 millions d'euros par an au développement agricole et rural cofinance des projets sélectionnés par les pays candidats eux-mêmes sur la base de plans de développement rural approuvés par l'UE. En Roumanie il fut mis en place dès 2002. 1 600 projets-dont 500 en agriculture- en ont bénéficié avec une moyenne de financement de 300 000 euros par projet., ils ont financé une partie de leurs matériels de récolte. Pourtant, la priorité du ministère de l'Agriculture n'est pas là. La dernière réforme, qui vient d'être arrêtée, consacrera 195 millions d'euros en 2006 « pour le soutien des fermes de moins de cinq hectares à l'exclusion des autres». Entre réalisme agricole et gestion sociale, le gouvernement roumain a du mal à trancher.