« La production de riz reste sur un équilibre fragile »
Les Marchés : Les cours du marché du riz repartent à la hausse en Europe. Comment s’explique ce retournement de conjoncture ?
François Callet : Avec l’ouverture de l’Union européenne à l’Est, en 2004 puis en 2007, l’Europe est passée du stade excédentaire à déficitaire. Ces nouveaux pays entrants ne produisent pas ou peu de riz. Du fait de leur intégration à l’Union, acheter du riz européen est devenu pour eux plus avantageux. Cela a notamment fait flamber les cours en Italie, pays producteur le plus proche. Dans le même temps, Bruxelles a divisé par deux le niveau du cours d’intervention, ce qui a amené à un déstockage des volumes accumulés. En 2004, la mise en application de cette décision a dans un premier temps atténué la hausse des cours.
Les Marchés : Quelle est la problématique des riziculteurs français ?
François Callet : A 5,2 tonnes l’hectare, nos rendements sont très faibles. Cela s’explique par deux raisons : tout d’abord, l’écart est trop important entre les cours du marché du riz français et italien. Ensuite, les produits phytosanitaires autorisés en France sont beaucoup moins nombreux qu’en Italie ou en Espagne. Nos conditions de culture sont donc difficiles par rapport à ces pays. L’harmonisation européenne est en cours, mais pas encore finalisée. En attendant, c’est une distorsion de concurrence. Nous vivons ainsi dans une situation paradoxale : les coûts de production sont plus élevés en France qu’en Italie, et les cours du marché y sont plus bas !
Autre paradoxe, la Camargue (qui regroupe l’ensemble des producteurs français, ndlr) a besoin de la riziculture pour conserver son équilibre environnemental. Nous entretenons l’apport d’eau douce qui permet le développement de la faune et de la flore. Mais pour maintenir nos exploitations, nous avons besoin de l’aide de phytosanitaires. Or, leur développement est limité du fait de l’impact écologique…
Les Marchés : L’augmentation du marché européen vous assure-t-il d’écouler toute votre production ?
François Callet :Les industriels constatent qu’il manque un million de tonnes de riz en Europe par rapport à la demande, alors que la récolte totale s’élève déjà à 3 millions de tonnes. Il n’y a quasiment plus de stocks. En France, on ne produit que les 2/3 des volumes consommés. Il ne devrait donc pas y avoir de problème de ce côté-là. Notre seul souci peut être une chute des cours du riz à l’importation. En 2008, avec l’entrée en application de l’accord « Tout sauf les armes », beaucoup de riz va rentrer dans l’Union européenne libre de droits de douane. C’est un risque pour nous de voir du riz à l’importation pas cher nous concurrencer et faire baisser les cours.
Les Marchés : Quels sont les débouchés du riz produit en Camargue ?
François Callet : En 2000, nous avons obtenu une IGP (Indication géographique protégée). Nous tentons grâce à cela de multiplier les débouchés qualitatifs. L’idéal serait de faire du riz de Camargue un produit de luxe ! Il nous faut du temps pour trouver un marché pour cette marque de reconnaissance. Nous avons établi et appliqué un cahier des charges dans toute la filière pour pouvoir positionner notre riz sur un créneau haut de gamme. Des niches se développent sur des variétés atypiques, comme le riz rouge ou le riz noir, ou encore en direction de la nutrition infantile. Mais notre production et ses caractéristiques ne sont pas encore assez valorisées. Nous avons décidé il y a deux ans de s’appuyer sur la restauration et l’hôtellerie pour développer la notoriété du riz de Camargue. Nous devons aujourd’hui porter cet effort au-delà de la région.
Les Marchés : Votre situation n’est donc pas si mauvaise…
François Callet : Non, tout n’est pas noir en Camargue. Nous essayons de faire en sorte que les choses bougent. Notre situation reste sur un équilibre fragile, notamment du fait l’évolution de la PAC, qui constitue une part importante de notre revenu. Il faut garder en tête qu’il y a 10 ans, le cours mondial était supérieur à celui d’intervention, lui-même 2 fois plus élevé que son niveau actuel. Au final, le riz a donc vu son prix chuter de plus de 50 % sur la période. Il reste un aspect très positif : la demande européenne est aujourd’hui forte et nous pouvons espérer que les cours poursuivent leur remontée.