La meunerie française confrontée à une conjoncture imprévisible
L’ANMF, Association Nationale de la meunerie française a tenu son assemblée générale le 5 octobre sous la présidence de Joseph Nicot après trois mois d’une nouvelle campagne qui a démarré dans la foulée haussière de la précédente. Elle se poursuit actuellement dans le même sens d’une flambée des prix à laquelle ne s’attendait pas plus la meunerie que l’industrie de l’alimentation animale, ni même les producteurs. Ouvrant la séance, le président Nicot avait prévenu l’assistance : « devinez de quoi nous allons parler ? De prix, de prix et encore de prix ! »
Il était effectivement difficile d’éluder ce sujet central, sachant que la matière première essentielle de la meunerie, le blé qui intervient pour 60 à 70 % dans le prix de revient de la farine, a augmenté « de façon soudaine et d’un niveau imprévisible, déstabilisant les entreprises et les mettant dans l’obligation d’adapter leurs pratiques de gestion ». Le président de l’ANMF reconnaît que la profession a longtemps fonctionné dans un marché du blé administré, impliquant une faible fluctuation des cours et de faibles risques de gestion de son approvisionnement. Avec cette crise imprévisible, les entreprises meunières devront adapter leurs pratiques de gestion des prix par de nouvelles formes de contractualisation et à travers les marchés à terme.
Meunier, ne dors plus…
Et cette situation créée par une crise devrait devenir structurelle selon l’économiste Philippe Chalmin invité par l’ANMF à analyser la conjoncture céréalière et à en dessiner l’avenir. Pour Philippe Chalmin, il ne fait pas de doute que l’ère de la stabilité des prix assurée par l’organisation de marché est terminée, comme celle de l’intervention, des protections aux frontières, des restitutions, des prélèvements. Bref, c’est la fin annoncée d’une organisation européenne de marché fondée sur le modèle français de 1936, aménagé au fil des décennies (ONIB, ONIC) et dont le but initial était précisément d’assurer une certaine stabilité des prix à travers l’intervention, tant pour le producteur que pour l’utilisateur. Certes, la situation n’est pas comparable à celle de 1936 (sauf que l’office du blé avait aussi été créé dans un contexte de crise).
Devant les meuniers, Philippe Chalmin a donc affirmé qu’il était grand temps de faire le grand saut « du stable à l’instable » reprenant pour sa démonstration les conclusions de son rapport présenté au Conseil d’analyse économique en début d’année. Celui-ci avait provoqué une vive réaction de l’AGPB qui avait mis en garde les pouvoirs publics « contre toute préconisation visant à laisser les marchés soumis aux aléas de la production, aux subventions distorsives utilisées par les États-Unis et aux fluctuations du dollar ». Dans ce communiqué qui visait particulièrement la proposition de remise en cause de l’intervention maïs, l’AGPB demandait qu’aucune décision ne soit prise avant le bilan de santé de la PAC prévu pour 2008 et avant une analyse fine des perspectives de marché.
L’économiste Philippe Chalmin pense au contraire que les choses doivent aller vite et que les signes avant-coureurs de la grande réforme sont déjà là, avec la suppression (de fait) de l’intervention maïs, la suspension de la jachère, la proposition de la Commissaire à l’Agriculture concernant la « suspension » (un provisoire qui risque de durer) des droits d’entrée des céréales importées. Le peu d’effets économiques qu’aurait cette dernière mesure sur la situation du marché ne justifiant guère une telle proposition, on peut la soupçonner de préparer d’autres objectifs de déréglementation. Ce qui renforce la conviction de l’orateur, affirmant aux meuniers dont il juge sans doute qu’ils dormaient : « vous étiez dans le petit bain avec une grosse bouée, vous serez dans le grand bain avec une petite bouée ». Il faudrait certes apprendre à nager pour faire face à la déferlante libérable que promet Philippe Chalmin.