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La menace de la dérégulation

Au moment où les producteurs de plusieurs filières agricoles en crise (lait, fruits et légumes, etc.) appellent à réguler des marchés que la Commission européenne détricote à leurs yeux, le Space s’est interrogé sur le niveau idéal de régulation.
La régulation des marchés agricoles n’a jamais été aussi nécessaire, ont martelé les intervenants d’une intéressante conférence, lors de la dernière édition du Space. Les Européens (pas tous) réclament la réactivation d’outils de gestion des marchés, supprimés ou rendus obsolètes au gré des réformes de la Pac, au prétexte que les marchés sont capables de s’autoréguler (lire l’encadré).
Certains pays africains estiment que l’importation de biens alimentaires à bas prix des pays occidentaux mettent à mal leur propre agriculture. Les Sud-Américains, Brésil en tête, ne rêvent que d’une chose : lever les barrières douanières partout dans le monde, pour mieux exporter leurs productions, les plus compétitives.
Sur ce marché très déséquilibré, les opérateurs n’ont pas du tout les mêmes attentes. Néanmoins, le commerce des produits agricoles ne peut être régi par les règles du commerce de n’importe quel bien. « Ce secteur économique présente plusieurs spécificités qui font que sa régulation et son développement ne peuvent être laissés au seul jeu du marché […] et/ou à l’intérêt particulier de ses différents opérateurs », commente Vincent Chatellier, ingénieur de recherches en économie à l’Inra de Nantes.
À ses yeux, l’intervention publique dans l’agriculture est triplement nécessaire ; pour moderniser la production de 41 % de la population mondiale qui continue de travailler la terre, mais avec des niveaux de productivité très différents selon les pays, et ainsi éviter un exode rural que les grandes agglomérations ne pourraient absorber ; pour entretenir l’espace, parce que l’agriculture occupe 38 % de la surface de la planète – plus que les forêts et les terrains boisés (29 %) ; enfin, pour satisfaire les consommateurs (surtout des pays riches), toujours soucieux qu’on fixe des règles de sécurité sanitaire aux produits venus de la terre.

Le seul marché ne règlera pas la faim dans le monde
Depuis l’inscription, en 1986, du commerce des produits agricoles dans les négociations du Gatt, un seul accord multilatéral (pour six ans) a été arraché, en 1995, un an après la transformation du Gatt en OMC. Le cycle d’Uruguay a réduit le niveau du soutien d’aides internes, limité les contingents à l’importation et les subventions à l’exportation. La renégociation de l’accord sur l’agriculture, engagée en 2001 (Cycle de Doha) n’est toujours pas finalisée entre les 153 États membres de l’OMC. L’enjeu est fondamental car aucune régulation des agricultures mondiales ne peut se faire sans l’OMC. Mais il ne faut pas attendre du marché qu’il règle la faim dans le monde (un milliard de personnes en situation de malnutrition), ou qu’il empêche des émeutes de la faim, comme celles qui se sont produites au printemps 2008 à travers le monde. L’évolution démographique de la planète vers les 9 milliards d’habitants dès 2050, le lent grignotage des surfaces alimentaires par les agrocarburants imposent dès à présent de réfléchir à des solutions stratégiques.
Vincent Chatellier en envisage trois dans l’immédiat : « Constituer des stocks alimentaires stratégiques par grandes régions mondiales de manière pallier des situations de déséquilibre, favoriser le développement des agricultures vivrières des pays les moins avancés (PMA) pour subvenir aux besoins alimentaires de leur population, et établir un conseil mondial de l’agriculture ».
Une régulation toujours forte au sein de la Pac
En Europe, la régulation au sein de la Pac reste forte. Selon Vincent Chatellier, les trois principes fondateurs du traité de Rome (1957) demeurent –unicité des marchés (mêmes règles pour tous), préférence communautaire, et solidarité financière –, et avec eux cinq objectifs : accroître la productivité ; assurer un revenu équitable aux travailleurs de la terre ; stabiliser les marchés ; sécuriser les approvisionnements ; garantir des prix de détail raisonnables. Cependant, les différentes réformes (1992, 1999, 2003 et 2008-2009) entreprises pour mettre la Pac en conformité avec les règles du commerce mondial rendent les agriculteurs pour le moins perplexes.
L’évolution de la Pac vers « le renforcement du découplage des aides, l’uniformisation du montant du paiement unique par hectare, la suppression de la jachère, l’abandon des quotas laitiers à horizon de 2015 [s’inscrit] dans une double logique de désengagement progressif des pouvoirs publics dans la régulation du secteur agricole et de la simplification des instruments d’intervention », analyse Vincent Chatellier.
Avec pour conséquence de plus grands à-coups dans la fixation du prix des biens agricoles, alors que les agriculteurs « ont besoin d’une stabilité des marchés, d’une lisibilité à moyen terme sur les règles de la Pac et d’une robustesse du contrat qui les lie à la société ». En Europe, les producteurs de lait, de fruits et légumes mais aussi de porcs ou de viande bovine ne demandent pas autre chose…

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