La guerre des prix entre enseignes fragilise les industriels
Les négociations commerciales se révèlent particulièrement difficiles cette année, comme en témoignent plusieurs industriels. La faute à des acheteurs sous pression, et obnubilés par la baisse des tarifs, dixit un ancien acheteur de la grande distribution. En contenant l'inflation, les enseignes ont réussi à maintenir la consommation, mais les fournisseurs sont à bout et attendent des avancées de la loi de Consommation.
La guerre des prix entre distributeurs fait rage et insuffle un vent destructeur de valeur pour bon nombre d'entreprises. Quelle que soit la taille de l'entreprise, les négociations 2014 sont catastrophiques, laissait entendre Jean-Philippe Girard, président de l'Ania lors du Congrès de Coop de France le 18 décembre dernier. Renseignements pris auprès de quelques industriels : la tendance semble être en effet à un durcissement des relations commerciales et à la réduction des tarifs. Loin de prendre en compte les conditions générales de vente (CGV) des industriels, les acheteurs sont plutôt enclins à débuter les négociations commerciales sur la base d'une baisse de tarif. « Alors que nous arrivions avec une demande de hausse de tarif raisonnable de 1,8 %, compte tenu de l'augmentation des matières premières et des charges, les négociations ont commencé sur une base de - 3 % par rapport à notre tarif de l'année dernière », explique un dirigeant de PME œuvrant dans le secteur de l'épicerie. « Jusqu'à présent les acheteurs refusaient nos hausses, mais ne nous proposaient pas de baisses. C'est une nouveauté », ajoute-t-il.
Les CGV comme « socle unique » de la négociationDans le cadre du projet de loi Consommation, l'Ania et Coop de France demandent d'ailleurs, haut et fort, d'intégrer un amendement qui reconnaisse les conditions générales de vente comme socle de la négociation, et non les conditions générales d'achat qu'imposent depuis longtemps les distributeurs. L'article 61 du projet de loi évoque cette notion, mettant en avant les conditions générales de vente comme « socle unique de la négociation commerciale ». Le tarif du fournisseur doit figurer dans ses CGV, qui elles, doivent être transmises trois mois avant la fin des négociations toujours fixée au 1er mars. Les agents de la DGCCRF pourraient ainsi vérifier que la négociation n'a pas entraîné de déséquilibre significatif. La date d'entrée en vigueur des barèmes tarifaires doit aussi apparaître dans les CGV. Une clause de révision de ces barèmes est également inscrite dans la loi, permettant d'ouvrir de nouvelles négociations en cas de hausses des matières premières. « Cette clause, définie par les parties, précise les conditions de déclenchement de la renégociation et fait référence à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires. Des accords interprofessionnels peuvent proposer, en tant que de besoin et pour les produits qu'ils visent, des indices publics qui peuvent être utilisés par les parties ainsi que les modalités de leur utilisation », indique le texte. Pour les fabricants de marque de distributeur, le contexte semble compliqué. Sur le marché des liquides, « les prix des marques nationales sont presque inférieurs aux marques de distributeur », note un industriel du secteur, « les distributeurs alignent les prix des marques de distributeur sur les marques nationales et font leur rentabilité sur ces produits-là. Pour la première fois en France, les marques de distributeur perdent des volumes ».
La hausse technique entre 20 et 25 euros pour 1 000 litres de lait sur les produits laitiers sera-t-elle acceptée ? Elle fait suite à la médiation demandée par la Fédération nationale des producteurs de lait afin de compenser leurs charges élevées. La dernière réunion s'est tenue le 10 octobre dernier, mettant industriels et grande distribution au pied du mur. Selon un fromager, « tout le monde se regarde en chiens de faïence parce que le texte n'est pas clair ».
Mais selon lui, cette hausse passera sans que les prix à la consommation n'augmentent. En revanche, il ne compte pas sur un effort supplémentaire des enseignes. « La hausse que nous demandons concerne pour deux tiers l'augmentation de nos charges et pour un tiers la hausse technique. Il est probable que seul le dernier tiers passera », indique cet industriel. Pour un autre acteur du lait, « les prix vont monter avec la hausse technique demandée par le ministère. Tout le monde saigne. Il n'y a pas le choix », assène-t-il. Pour ajouter à ces tensions, selon le magazine LSA, la grande distribution exercerait des pressions sur les industriels laitiers en leur demandant de leur reverser les hausses qu'ils leur ont consenties depuis mai 2013 afin de récupérer leurs marges.
Voir le site www.fnpl.fr
Les prix des marques nationales sont presque inférieurs aux marques de distributeur
Concernant la convention unique, rien ne semble véritablement tranché. La loi de Modernisation de l'économie (LME) la rendait déjà obligatoire, sans qu'elle ne soit appliquée. Il était prévu que le projet de loi Consommation appuie dans ce sens, mais pour l'instant les députés ont repoussé l'amendement. Pourtant, ce contrat-cadre comprenant le plan d'affaires est une demande forte des industriels. Il reste vide de toutes substances pour beaucoup d'entrepreneurs. « Les plans d'affaires sont des coquilles vides. Les distributeurs remontent les coopérations et les transforment en ristournes. Ils transfèrent ainsi les risques et les contreparties », indique un industriel laitier, « nous ressentons de plus en plus cette logique. Le Galec (centrale d'achat du groupement E.Leclerc, ndlr) était précurseur et c'est venu petit à petit aux oreilles des autres ». Pour autant, chez lui, les nouveaux instruments promo” tionnels (NIP) ne sont pas intégrés dans son plan d'affaires, et cela semble lui convenir parfaitement. « Les NIP ne sont pas mis dans le plan d'affaires et ce n'est pas plus mal, car je peux moduler au cours de l'année. Quand je fais une opération, je sais quel volume, quel chiffre, quel investissement », explique-t-il. Pour d'autres, ces plans promotionnels sont un véritable casse-tête, certains distributeurs demandant des bons de réduction immédiate (BRI) allant jusqu'à 50 %. « Chez E.Leclerc, c'est désormais une réduction de 50 % qui est demandée pour les BRI, dans le cadre des promotions signées dans le plan d'affaires. Ce sont des taux inaccessibles pour nous », souligne cet industriel de l'épicerie.