La flambée des prix des céréales affecte le marché des intrants
Stimulés par le redémarrage de la demande mondiale en produits alimentaires, les paysans français revoient de façon radicale leurs itinéraires culturaux et délaissent brutalement certaines de leurs spéculations traditionnelles au profit des céréales. En Europe, des terres en jachère sont remises en culture. La Commission estime que les quinze européens pourraient remettre en culture entre 1,6 et 2,9 millions d’hectares sur les 3,8 millions d’hectares de jachère européenne. Hier, les revenus agricoles étaient orientés à la baisse, les prix agricoles déprimés. Les agriculteurs raisonnaient leurs productions à « budget constant ». Cette morosité ambiante a influé directement sur l’utilisation des semences certifiées, des engrais et des produits phytosanitaires.
La tendance s’est brutalement inversée en 2007. Les paysans savent désormais qu’il leur faudra augmenter leurs rendements pour répondre à la hausse d’une demande alimentaire mondiale toujours croissante. Ce ne sera pas sans conséquences sur les pratiques agricoles et la donne agricole s’en trouve désormais bouleversée. Des prix plus rémunérateurs incitent en effet les paysans à réinvestir en engrais et en phytosanitaires pour retrouver des gains de productivité. Ils n’hésitent pas à modifier leurs assolements au grand dam des industriels avec lesquels ils avaient l’habitude de contracter, bouleversant de fait les rapports de force qui leur étaient autrefois défavorables.
Ce sont autant de raisons qui expliquent l’explosion actuelle du prix des intrants, des aliments du bétail voire de l’acier avec les répercussions directes sur le machinisme agricole et le secteur du transport. Les délais de livraison des tracteurs s’allongent inexorablement. Coopératives ou négociants doivent attendre plus de 18 mois leur livraison de camions porteurs !
Engrais : les prix flambent
Après avoir baissé pendant plus de dix ans, la demande en engrais repart à la hausse. Les prix flambent. Celui des ammonitrates est passé de 190 euros/tonne à 330 euros/tonne en l’espace de quelques mois (+ 70 %) ! « La cotation de l’acide phosphorique départ Afrique du Nord a été multipliée par six depuis juin 2007 », relève Johann Loobuyck, directeur commercial d’Unéal, une coopérative du Nord-Pas-de-Calais.
Malgré un catalogue européen pléthorique, la semence de maïs commence à se raréfier. En cause ? Des rendements décevants chez les agriculteurs multiplicateurs, par ailleurs de moins en moins enclins à se tourner vers cette production. La sécheresse survenue en Europe de l’Est a également amplifié le phénomène. « Ce défaut de production » dans les pays de l’Est est encore plus spectaculaire en matière de graminées fourragères. C’est ainsi que pour l’ensemble des ray-grass, moutarde, radis ou autre phacélie, la production actuelle ne pourra fournir que la moitié des besoins français.
Même phénomène en produits phytosanitaires, un secteur dans lequel il faudra gérer l’interdiction d’une trentaine de molécules dès le 1 er janvier 2009 dans le cadre du plan Ecophyt 2018. Là aussi, de nouvelles tensions sont également à craindre. L’industrie phytosanitaire, qui a vu baisser de 30 % la consommation de ses produits depuis dix ans, ne peut plus faire face à l’augmentation des demandes et les délais de livraison s’allongent inexorablement provoquant l’inquiétude dans les plaines.
Une compétition blé-colza
Côté aliments, où les éleveurs subissent de plein fouet cette hausse des matières premières, le paysage est encore plus sombre. « La hausse des céréales (plus de 100 euros/tonne en l’espace de huit mois) s’est répercutée sur l’ensemble des matières premières qui entrent dans la composition de nos aliments », explique Henri Florin, responsable « marché Porcs » chez Unéal. Elle s’est répercutée sur tous les coproduits de céréales (sons, corn-feed de maïs et issus de meunerie…). Et si les Etats-Unis connaissent actuellement une compétition maïs-soja, la France pourrait bien devoir faire face en 2008 à une compétition blé-colza. « Même si les cours du colza avoisinaient les 320 euros/tonne au moment des semis d’automne, ils n’étaient pas encore assez élevés pour inciter les paysans à semer du blé », constate Henri Florin. Les producteurs français se sont donc détournés du colza et ont semé du blé !
En Champagne, il a même fallu que les déshydrateurs de luzerne revoient leurs prix d’achats à la hausse pour rester attractifs face au blé ! Seuls les volumes d’aliments bovins ont été dopés par l’augmentation du prix du lait (+30% en volume d’une année sur l’autre chez Unéal). « Les éleveurs laitiers veulent produire plus et par conséquent donnent plus d’aliments à leurs troupeaux », précise-t-il. Une nouvelle révolution agricole semble en marche.