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Le lait de chèvre
La filière chèvre reprend le contrôle

Si la crise de surproduction a laissé des traces, comme en émoignent la pénurie actuelle de lait et les restructurations de la transformation, les efforts mis en oeuvre pour pérenniser la filière ont toutes les chances de porter leurs fruits.

 

« Pour la première fois depuis plus de dix ans, les fabrications de fromages au lait de chèvre ont reculé en 2013 (en cumul de janvier à septembre) », constate FranceAgriMer(1). Certes, la diminution enregistrée n'est que de 2,2 %. Mais elle reflète clairement la poursuite de la baisse des disponibilités de lait de chèvre, amorcée depuis deux ans. Principale origine de cette baisse : un fort recul de la collecte (-5,8 % en 2013 par rapport à 2012) qui semble cependant s'atténuer au fil des mois. Parallèlement, les importations ont progressé (+21 %), particulièrement en lait liquide vrac. Une source qui pourrait se tarir. Car la collecte aurait aussi baissé dans les autres pays producteurs européens. Et certains, comme les Pays-Bas, préfèreraient orienter leur lait vers le séchage, dans un contexte de flambée des cours de la poudre de lait liée à la forte demande de la Chine.

En France, la baisse des disponibilités impacte également les fabrications de produits de report. Les stocks correspondants (en repli de 33,6 % en un an) étaient inférieurs à 3 150 tonnes de caillé fin 2013. « Un niveau insuffisant pour les transformateurs à la veille de la période annuelle de creux de collecte (novembre à février), qui s'est traduit par des ruptures en magasin sur les fromages de chèvre les moins valorisés », note un intervenant.

Mais globalement, la situation actuelle résulte de multiples facteurs, dont la conjonction a pris au dépourvu tous les acteurs de la filière. « La chute de la collecte de lait a surpris par son ampleur », reconnaît l'Institut de l'élevage(2). La filière cherchait à modérer la collecte pour rétablir l'équilibre entre une fourniture de lait trop abondante, des fabrications industrielles de fromages ralenties et des stocks pléthoriques. « Sans beaucoup de succès face à une dynamique d'expansion lancée quelques années auparavant en situation de manque de lait. » Avant que les volumes collectés ne s'effondrent subitement en 2012.

Patrick Charpentier, vice-président de Terra Lacta, revient sur les raisons de la surproduction qui durait alors depuis 2010. « Les droits à produire de chaque éleveur coopérateur étaient certes réajustés annuellement. » Ils étaient notamment réduits en cas de sous-réalisation supérieure à 10 % du volume qui lui était alloué, mais dans des proportions variables selon que sa baisse de production était durable ou pas. « Il y avait eu beaucoup de sous-réalisations au cours des années précédant la crise de surproduction, mais les réajustements n'avaient pas été suffisants. »

Pourtant, le système fonctionnait de longue date sans guère d'anicroche. La filière n'avait pas connu de crise depuis près de vingt-cinq ans. « La plupart des entreprises avaient mis en place des références individuelles, confirme Jean-Jacques Labbe, vice-président d'Eurial. Lorsqu'il y a eu trop de lait, elles les ont baissées. » Mais, pour certains observateurs, la France aurait déstabilisé la production européenne.

 

LA CONTRACTUALISATION EN MARCHE


La crise sans précédent vécue par la filière a toutefois peu de chances de se reproduire. « Nous travaillons sur la construction d'indicateurs permettant à l'ensemble des opérateurs d'appréhender clairement les perspectives d'évolution de la filière, explique Dominique Verneau, président de l'Anicap. FranceAgriMer réalise un sondage hebdomadaire sur la collecte, l'Observatoire de l'évolution des prix et des marges intègre désormais la bûche de chèvre, nous avons demandé à France Conseil élevage d'extraire de ses données les effectifs de chèvres et chevrettes mis à la reproduction... » Mais surtout, la mise en place de la contractualisation, démarche volontaire de l'interprofession, va aboutir à un encadrement global plus rigoureux. « Elle incluera aussi une clause de sauvegarde, point d'ailleurs également prévu par la Loi sur la consommation récemment adoptée », indique Dominique Verneau. Les contrats entre producteurs et transformateurs mais aussi entre transformateurs et distributeurs pourront ainsi être renégociés en cas de forte hausse du prix des matières premières.

 

REVALORISER LE PRIX DU LAIT

 

Un point clé pour la filière. Car la chute brutale de la collecte reflète aussi les difficultés des producteurs, confrontés à une sécheresse en 2011, à de mauvaises récoltes fourragères en 2012 et 2013, et à une explosion de leurs coûts d'exploitation, liée à la flambée des prix des aliments et de l'énergie. Résultat de ce ciseau des prix : 400 à 500 producteurs auraient arrêté leur activité en deux ans. Dans le même temps, selon l'Anicap, la collecte a baissé de plus de 15 %. « Nous avons perdu près de 80 millions de litres de lait », souligne Dominique Verneau.

Certes, les coûts de production commencent à amorcer une baisse, grâce au recul des prix de matières premières. Mais ils restent à un niveau élevé. Et si chacun espère de meilleures récoltes fourragères cette année, « l'autonomie alimentaire complète des éleveurs n'est pas possible », note Jean- Jacques Labbe.

« Les taux de marge des producteurs sont très faibles », confirme Daniel Chevreul, responsable de la production laitière de Bongrain. « Il est nécessaire de revaloriser les prix du lait à la production. » Une démarche mise en oeuvre dès 2013 par les transformateurs, sur une base volontaire, puis sur les recommandations du médiateur. Selon l'Institut de l'élevage, les prix moyens et de base du lait de chèvre avaient ainsi progressé de 12 et 13 % respectivement au troisième trimestre 2013 (par rapport à celui de 2012), pour atteindre 632 EUR/1 000 litres et 597 EUR/1 000 litres. En 2014, l'augmentation devrait être du même ordre, selon l'Anicap. « Sachant que le lait représente les deux tiers du prix moyen d'un fromage, nous sommes dans l'obligation de répercuter ces hausses dans nos prix de vente », explique Daniel Chevreul. C'est tout l'enjeu des négociations avec la grande distribution.

« Nous avons anticipé sur les hausses de 2014. En deux ans, nous avons augmenté le prix du lait de près de 80 EUR pour 1 000 litres », note Gérard Maréchal, directeur technique approvisionnements lait de Lactalis. En soulignant : « Il faut éviter que les agriculteurs ne se détournent de la production caprine, dans les régions où la polyculture-élevage est très présente ». Beaucoup seraient en effet tentés de privilégier les céréales, plus rémunératrices, voire d'autres filières, comme la viande bovine.

 

PÉRENNISER LA PRODUCTION

 

Mais dans certains bassins, la crainte d'une nouvelle crise de surproduction de lait de chèvre est manifeste. « Il ne s'agit pas d'augmenter la production mais de pérenniser la filière », précise Jean-Jacques Labbe.Tel est le but du plan d'action mis en place par l'Anicap(3). Il vise à favoriser les installations pour prendre la relève des éleveurs en fin de carrière, mais aussi à aider les producteurs en place à mieux vivre de leur activité en leur permettant d'améliorer leur efficacité technico- économique. « Celle-ci est très variable selon les éleveurs », juge Daniel Chevreul, qui pointe la nécessité d'améliorer la qualité du lait, notamment en matière de composition, par rapport à d'autres pays producteurs. Autre objectif de Bongrain, dans le cadre de son rapprochement avec Terra Lacta : le lissage de la collecte, face à une demande linéaire en termes de consommation. Pour l'encourager, le groupe a augmenté les écarts de prix du lait entre la pointe et le creux de collecte. « La production de caillé en période de pointe nécessite de dimensionner les outils, et son stockage génère des coûts. »

Car du côté des transformateurs, pris en étau entre les demandes des producteurs laitiers en difficulté, et les discussions des tarifs par les distributeurs, l'heure est aussi à la maîtrise des coûts. Les restructurations en cours en témoignent. Et chacun en est conscient : si les fromages de chèvre ont su s'adapter à la consommation moderne, le marché est arrivé à maturité. Le fort taux de pénétration atteint le montre, même s'il reste des niches à exploiter. « Mais il existe un vrai relais de croissance à l'exportation », souligne Patrick Charpentier. En dehors des principales destinations que sont l'Allemagne, le Royaume-Uni et les USA, les pays émergents se mettent à consommer des produits caprins. Et les fromages « made in France » ont une bonne image. Aucun doute possible : la filière a encore de belles cartes à jouer.

 

(1) Note de conjoncture Lait de brebis/ Lait de chèvre - Conseil spécialisé Filières Laitières - 10 décembre 2013.

(2) L'année économique caprine 2012 - Département Économie de l'Institut de l'élevage - mars 2013.

(3) Bien vivre du lait de chèvre.

 

5300 éleveurs

Les exploitations de plus de 10 chèvres totalisaient en 2012 un cheptel de 821 000 têtes.

 

130 millions de litres transformés à la ferme

La production de fromages de chèvre fermiers est estimée à environ 18 000 tonnes.

 

6250 tonnes de fromages AOC

Quatorze AOC au lait de chèvre contribuent à cette production, dont 29 % seraient issus de fabrications fermières.

 

618 tonnes de fromages bio

à partir d'une collecte de 1,5 million de litres.


Source : Institut de l'élevage d'après Agreste, FranceAgriMer, Inao/Cnaol, Agence Bio

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