La fièvre monte à Rungis
Chaud devant ! Attention les touristes ! Il est 5 h 15 à Rungis et le balai des transpalettes est incessant. Dans le pavillon de la marée, c’est l’heure des bonnes affaires, pas de temps à perdre. Les crustacés sont bien partis ce matin, mais à 40 EUR le kilo, le turbot peine à trouver preneur. Chez le voisin, de beaux filets d’empereur viennent d’arriver du Guilvinec. Le poisson a été vendu la veille à la criée, après deux à trois jours de mer, dans les soutes réfrigérées d’un gros chalutier. Mais c’est pour les produits de fête que la demande est la plus forte. À l’approche de Noël, toutes les stars de la fin d’année sont présentes : homards, langoustes, lottes, bars de ligne, coquilles Saint Jacques… et bien sûr les huîtres.
Après un début de saison marqué par la crise d’Arcachon, les grossistes retrouvent des volumes de vente normaux pour un mois de décembre. « Le client est au rendez-vous, mais on ne récupère jamais ce qui a été perdu» tempère un vendeur. Parmi les autres productions saisonnières, le sandre et le brochet font leur réapparition ça et là, ainsi que les oursins. Les plus charnus, cette semaine, viennent de la côte atlantique de l’Espagne : « 9,50 euros le kilo, mais rien à voir avec les oursins de Méditerranée, il y a à manger là-dedans » prévient un amateur. Malgré l’appauvrissement des ressources halieutiques, toutes les espèces sont bien présentes.
À l’évidence, certains poissons et crustacés proviennent d’élevages, mais il est difficile d’en savoir plus. « La baisse des ressources est incontestable, il faut gérer les flux » reconnaît un grossiste. « Il y a de la place pour tous les produits à Rungis. On ne peut pas comparer l’élevage au sauvage, mais sa qualité est tout à fait honorable » explique quant à lui Philippe Stisi, responsable communication de la Semmaris, la société qui gère MIN de Rungis.
Ficoïde glaciale, la salade de fête
Nouveauté 2006, le « King crabe » est au contraire en pleine expansion. Pouvant atteindre 12 kg et 1,50 mètre d’envergure, l’animal prospère dans le détroit de Béring mais reste un mets de luxe sur le marché français.
Dans le hall des volailles et du gibier, les fêtes sont également synonymes d’ébullition. « Les Glorieuses » ont eu lieu vendredi dernier à Bourg-en-bresse et l’essentiel des volailles primées ont trouvé preneur dès leur arrivée à Rungis. Compter quand même jusqu’à 200 euros l’unité pour les plus beaux chapons. À quatre jours de Noël, on trouve cependant de très beaux produits fermiers pour trois fois moins cher.
« Savez comment reconnaître une oie de qualité ? », questionne Michel Reilhe, une figure du marché de la volaille. « Il faut que ce soit tendre, ici - il pince les artères qui passent à l’avant du cou - mais le meilleur indicateur, c’est ça » lance-t-il, joignant le geste à la parole. Il ouvre le bec de l’oie et casse la partie supérieure en la repliant vers le crâne : « si ça plie facilement, comme ça, vous êtes sûr que c’est un jeune oiseau» précise le professionnel. À côté des valeurs sûres, certains grossistes osent quelques nouveautés comme le foie gras de canard à la vanille ou au zeste de pamplemousse, jouant sur l’opposition douceur - amertume.
Du côté des fruits et légumes, on est habitué aux grosses journées. Pour la fin d’année, l’offre laisse la place aux « produits-rois ». Parmi eux, citons l’ananas Victoria, récolté mûr et transporté par avion. Les cerises du chili remportent elles aussi un beau succès, de même que certains légumes d’exception : fleurs de courgettes, mini-poireaux ou ficoïde glaciale, une salade grand luxe, aux feuilles grasses recouvertes de petites vésicules transparentes comme autant de gouttelettes givrées.
Hausse des budgets oblige, la fin d’année est aussi une période faste pour les produits bio. À Rungis, le bio représente plus de 100 M EUR de CA annuel, des volumes qui restent modestes à côté des productions conventionnelles. « La contribution de Rungis au développement durable, c’est le maintien du petit commerce, d’un tissu économique local à côté de la grande distribution »,résume un grossiste.